Régulation des rejets industriels et encadrement de la qualité des eaux du Rhin, dans un contexte réglementaire multi-échelle
Résumé
En 1919, la France obtint le droit exclusif d’aménager le Rhin. Dès 1928, les travaux du Grand Canal d’Alsace (i.e. canal latéral creusé parallèlement au Rhin régularisé) commencèrent. De nombreux sites industriels se sont installés au fur et à mesure le long du Rhin supérieur, et continuent à se développer en raison de la position stratégique de ce secteur au cœur de l’Europe occidentale. Les rejets industriels dans le Rhin sont, par hypothèse, ceux autorisés par la réglementation, qui joue un rôle majeur de sécurisation de ce lieu qui sert de frontière nationale. Les rejets d’effluents industriels dans le milieu naturel restant nécessaires, des compromis avaient dû être recherchés afin de concilier tous les intérêts à protéger. Alors que le droit français obligeait déjà les industries à faire une demande d’autorisation pour les installations dangereuses auprès de l’administration depuis le décret de 1810 relatif aux manufactures et ateliers, l’équivalent fut adopté par la Prusse dès 1845 (Die Preußische Gewerbeordnung). Cette autorisation, appelée aujourd’hui en France autorisation environnementale, a été la solution apportée pour concilier les activités industrielles et la protection de l’environnement. À ce dispositif juridique s’ajoutent les normes techniques, systématiquement utilisées dans le droit de l’environnement, dans le but d’autoriser et de justifier les émissions de tous ordres dans l’environnement. C’est ainsi que les normes techniques règlementant la qualité du milieu aquatique, principalement issues du droit de l’Union européenne, s’imposaient naturellement aux droits internes. Le cas du Rhin supérieur est un terrain d’étude pertinent du foisonnement normatif, en raison de la concentration d’industries historiques et d’une multiplication, dans le temps et selon les niveaux de gouvernance, de textes juridiques en matière de rejets industriels. L’empilement normatif est encore plus visible au sein d’un espace transfrontalier où ces différentes échelles de réglementation se superposent. Certes l’amélioration de la qualité des eaux du Rhin a été observée depuis deux décennies, mais quels ont été les dispositifs juridiques mis en œuvre dans la lutte contre la pollution industrielle et dans la protection du Rhin ? Est-il possible d’évaluer l’effectivité de ces dispositifs juridiques ? L’évaluation de l’effectivité d’une norme dépend étroitement de l’espace où elle s’exerce. Romain Garcier introduit le concept de dispositif géo-légal qui est d’abord créé par les textes juridiques dont les dispositions entraînent la mise en œuvre de dispositifs juridiques agissant dans l’espace dans le but de réaliser les objectifs visés. Dans le cadre de cette thèse, nous proposons d’identifier plusieurs dispositifs géo-légaux plaçant au centre les normes techniques et de rendre compte de leur effectivité à partir de cette méthodologie d’analyse. La place qu’occupent les normes techniques au sein des différents dispositifs juridiques mobilisés afin de mettre en œuvre les lois, les directives ou encore les conventions internationales suscitent en effet des interrogations.
Notre étude montre que l’utilisation croissante des normes techniques dès la fin du XXème siècle tend à être harmonisée à l’échelle de l’Union européenne. L’autorisation de rejets, délivrée au préalable par l’administration, prescrit des seuils limites de rejets pour chaque industrie. À partir des données d’archives, nous avons montré que l’élaboration de ces autorisations impactait les comportements des acteurs qui appliquent la loi et donc indirectement l’espace par les décisions qu’ils prennent. À l’inverse, un autre dispositif qui intervient après l’autorisation de rejet est le registre des émissions industrielles dans le milieu aquatique (EPTR). La lutte contre la pollution industrielle fait également intervenir les dispositifs juridiques de protection de l’eau. Il s’agit de dispositifs qui protègent directement le milieu aquatique tels que l’obligation de respecter des normes de qualités environnementales pour certaines substances et des schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) délimitant un espace réduit. De même, d’autres dispositifs protègent indirectement la ressource en eau en délimitant une aire protégée comme la réserve naturelle de la Petite Camargue Alsacienne ou la zone humide du Rhin supérieur/Oberrhein. En se focalisant sur le dispositif fixant des normes de qualité environnementale, nous avons tenté de montrer leur effectivité à partir de séries de données temporelles de métaux lourds présents dans le Rhin.
L’étude de la coévolution des rejets industriels et de la qualité des eaux montrent finalement la complexité du phénomène tant au niveau de la définition commune de normes techniques qu’à la mise en place de dispositifs de mises en œuvre à l’échelle du Rhin. Cette thèse donne un autre regard sur les activités anthropiques, en l’occurrence les rejets industriels, impactant l’espace rhénan en mobilisant différentes données.
Ce travail de thèse a été soutenu financièrement par la formation complémentaire par la recherche (FCPR) du Ministère de l’Agriculture. Il a par ailleurs été environné par l’OHM Fessenheim et a, à ce titre, bénéficié d’une aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du LabEx DRIIHM, programme “Investissements d’Avenir” (ANR-11-LABX-0010).