AquADN - L'ADN environnemental comme descripteur des plantes aquatiques et indicateur environnemental
Résumé
Ce projet doctoral repose sur le développement d’une méthode innovante d’inventaire des plantes aquatiques et des zones humides basée sur l’étude de leur ADN environnemental (ADNe) capturé dans l’eau.
Les plantes aquatiques sont de véritables clés de voute des hydrosystèmes composant la structure physique du milieu, régulant la qualité de l’eau (oxygénation de l’eau, régulation de la température, cycles de la matière) et servant d’habitat et de nourriture à de nombreux organismes (invertébrés, poissons, microorganismes). De plus, elles comprennent de nombreuses espèces menacées à conserver en priorité (e.g. ~ la moitié de la liste rouge de la flore menacée d’Alsace), mais aussi des espèces invasives dont la détection doit être la plus précoce possible, et la gestion soumise au contexte réglementaire européen de 2014. Enfin, les plantes aquatiques sont utilisées comme bio-indicateurs pour évaluer le bon état écologique des rivières et des lacs suivant la directive cadre sur l’eau (indices IBMR et IBML ; 2000/60/CE). Pour ces raisons, la détection et l’inventaire de ces espèces doivent être améliorées et standardisées, ce que nous voulons réaliser à l’aide de méthodes basées sur l’ADNe. Les objectifs de ce travail doctoral sont triples :
- Développer une approche innovante d’inventaire végétal des zones humides.
L’objectif est de détecter des plantes aquatiques et de zones humides à partir de la détection de leur ADN dissous dans le milieu et du code-barre génétique de ces espèces, sans devoir les observer in situ. La pertinence d’une telle approche a été démontrée récemment pour les poissons et les diatomées, mais le transfert méthodologique reste à faire pour les végétaux. A terme, la standardisation d’une telle méthode représenterait un gain de temps considérable et une meilleure résolution en diagnostic environnemental.
- Cribler spatialement la présence d’espèces cibles.
Il s’agit de repérer des espèces patrimoniales difficilement détectables à l’œil nu, et de détecter précocement des appariations d’espèces aquatiques invasives. En effet, cette approche est particulièrement intéressante pour détecter des espèces rares ou des espèces qui sont au début d’une phase de colonisation d‘un milieu sans avoir besoin de prospecter ce milieu d’une manière intensive, chronophage et quelque fois destructrice.
- Diagnostiquer l’état écologique par l’ADNe dans des contextes de bioindication et restauration.
Nous souhaitons mettre au point une approche diagnostic de l’ADNe à travers des projets de bioindication et de restauration écologique en cours dans notre équipe de recherche. Notre équipe travaille actuellement sur différents projets de restauration écologique et de bio-indication en Région Grand-Est, sur lesquels nos inventaires de terrain sont en cours. L’utilisation d’une approche basée sur de l’ADNe nous permettra de calibrer notre méthodologie en comparant les inventaires moléculaires aux inventaires macroscopiques, afin d’évaluer la fiabilité et les apports de l’approche ADNe dans les diagnostics environnementaux.
Cette thèse sera réalisée en collaboration avec une startup prometteuse basée à Namur, e-Biom, spécialisée dans l’étude de l’ADNe, afin de bénéficier de leurs compétences en analyse moléculaire, ainsi qu’avec l’UMR Génétique Moléculaire Génomique Microbiologie (UMR 7156 CNRS – UNISTRA) pour leur expertise en génétique environnementale. Afin de déterminer les espèces patrimoniales prioritaires à cibler dans l’environnement, nous travaillerons étroitement avec le futur Conservatoire Botanique National Nord-Est, ainsi qu’avec les différents gestionnaires des sites d’étude.
Ces apports sont essentiels pour faire face aux transitions que nous sommes en train de vivre (changement climatique, transition agro-écologique, transition économique) et qui vont fortement influencer la biodiversité. Les hydrosystèmes les plus menacés sont ceux sont placés le plus en amont, au niveau des têtes de bassin et des résurgences phréatiques, possédant théoriquement les eaux les plus oligotrophes, les plus froides et à la meilleure qualité qui soit. L’acquisition de nouvelles connaissances fondamentales sur la distribution de ces espèces permettra d’améliorer leur conservation en région Grand-Est et la restauration des hydrosystèmes oligotrophes patrimoniaux qu’elles occupent.
Le 23 mars 2024, Armando Espinosa Prieto a reçu le premier prix du jury des Assises rhénanes de l’eau pour ses travaux de thèse. Ces Assises sont organisées par la Collectivité Européenne d’Alsace. L’évaluation des travaux par un comité d’experts français, allemand et suisse a porté sur la qualité scientifique (originalité, méthodes, résultats) et sur la pertinence ou le potentiel pour une application à de futures mesures de gestion durable des eaux dans l’espace du Rhin supérieur. Ci-dessous le discours d’Armando à la remise de prix.
« Le Rhin Supérieur est un axe économique majeur mais saviez-vous que c’est aussi un axe écologique important servant de route migratoire et d’habitat permanent pour des milliers d’espèces végétales et animales. Le Rhin Supérieur est constitué d’une mosaïque d’écosystèmes des plus riches en Europe centrale qui dépendent de conditions environnementales uniques. Par exemple, les forêts alluviales sont de véritables jungles Européennes mais aussi des puits de carbone considérables et un système naturel de protection contre les inondations.
Cependant, l’aménagement du Rhin Supérieur, les activités humaines et la crise climatique mettent en danger cette biodiversité. Depuis les années 60 environ, les gestionnaires surveillent la biodiversité du Rhin Supérieur. Les animaux et les plantes recensés informent sur l’état de santé des écosystèmes. Malheureusement, les méthodes employées sont lentes, couteuses et demandent des expertises qui se font rares.
Or pour stopper net le déclin de la biodiversité nous devons mieux la comprendre et la mesurer. Ce défi est le moteur de mon travail de recherche. Je développe des méthodes innovantes visant à combler les lacunes des approches traditionnelles et à fournir des outils plus efficaces pour répondre aux défis urgents de la conservation de la biodiversité.
Quelle méthode je propose concrètement ?
Vous voyez tous cette image de la police scientifique sur une scène de crime chercher des traces d’ADN pour identifier le coupable. Mon travail ressemble à ça ! et ma méthode c’est l’ADN environnemental ! Je l’utilise pour identifier les différentes plantes qui poussent dans un paysage. Rien n’échappe à cette méthode car les plantes, les animaux, les champignons, les bactéries et les virus laissent des traces d’ADN dans l’environnement.
D’ailleurs, l’outil que j’ai ramené me permet d’aller à la pêche de l’ADN dans un fleuve par exemple. Ensuite, au laboratoire, je peux lire cet ADN qui me donne l’identité des différentes plantes qui habitent le fleuve.
Mes travaux de thèse représentent la première étude à utiliser l’ADN environnemental pour étudier les plantes aquatiques des grands fleuves, tels que le Rhin. Mes recherches ont montré comment cette méthode novatrice peut aider à surveiller la végétation difficilement accessible dans ces milieux. A partir de 8 échantillons d’eau entre Bale et Strasbourg nous avons identifié 24 plantes aquatiques connues dans cette région du Rhin Supérieur. Au-delà, et de manière surprenante, nous avons identifié un total de 200 plantes terrestres natives et cultivées caractéristiques des paysages du Rhin. Grâce à l’ADN environnemental, les gestionnaires peuvent désormais obtenir rapidement une vue d’ensemble de la biodiversité sur de vastes territoires et avec moins d’efforts qu’auparavant.
Enfin, nous avons aussi détecté 20 espèces de plantes exotiques et invasives. Notre méthode rend possible la détection préventive de ces espèces et permet de cibler les zones du fleuve à surveiller. Cette détection préventive est cruciale pour protéger les écosystèmes aquatiques et les voies navigables.
Dans l’ensemble, l’ADN environnemental apporte une nouvelle façon de percevoir la biodiversité et émerge comme un véritable allié dans la lutte pour la préservation de la biodiversité. »
Armando Espinosa Prieto
Ce travail de thèse a été soutenu financièrement par le comité scientifique de l’École Nationale du Génie de l’Eau et de l’Environnement de Strasbourg (ENGEES), et par l’État dans le cadre du projet de territoire de Fessenheim à travers le projet Juxta Rhenum de l’Université de Strasbourg, projet géré par l’OHM Fessenheim.