Etude à long-terme des conséquences du démantèlement aux environs de la centrale de Fessenheim sur des espèces d’oiseaux sentinelles
Produire de l’énergie à grande échelle, et ce à moindre coût, tout en participant à la décroissance carbone est un challenge sans précédent. Si l’énergie atomique respecte les contraintes carbone, elle est aussi potentiellement la source d’effets environnementaux néfastes, encore difficile à évaluer à long terme. Le projet Watchbirds s’inscrit dans l’effort scientifique régional actuel qui vise à déterminer les effets toxicologiques à de très faibles expositions d’agents génotoxiques dans un territoire du Rhin supérieur soumis à des fortes pressions anthropiques (industrielles, urbaines, agricoles) et situé autour de la centrale nucléaire de production d’électricité (CNPE) de Fessenheim. L’objectif est de quantifier le transfert possible de métaux lourds et de très faibles quantités de radioéléments tels que le Cobalt (60Co). Ceux-ci sont en effet rejetés par le CNPE et susceptibles d’entrer dans la chaine trophique. Watchbirds analysera les conséquences sur la physiologie (longueur des télomères et dommages de l’ADN) de plusieurs espèce d’oiseaux (passereaux) ayant colonisé ce territoire, et ce, à un temps 0 (avant démantèlement) puis sur plusieurs années (effets intergénérationnels). Watchbirds permettra ainsi d’établir une base de données unique de dynamique des niveaux de stress environnementaux et des dommages physiologiques induits sur plusieurs générations. Cette étude permettra de mieux comprendre les effets génotoxiques de ces agressions environnementales à de très faibles doses sur des organismes vivants, avec comme impact à moyen terme de venir nourrir les réflexions scientifiques sur les conséquences pour la santé des populations humaines locales vivant autour de la centrale de Fessenheim.
Motivations
Watchbirds s’inscrit doublement dans le développement actuel de la recherche en écologie de la santé et environnement. Ceci est vrai localement, puisque notre projet est intégré à la politique de l’IPHC qui promeut les programmes interdisciplinaires rassemblant physiciens, chimistes et biologistes pour adresser des questions sociétales (locales et nationales) autour des grands défis à venir. Il l’est également à l’échelle nationale puisque Watchbirds poursuit des objectifs de santé publique à travers l’étude des effets du stress de l’environnement sur le vivant, et intègre à long-terme des questionnements et applications pour la santé humaine. La force principale de Watchbirds est de s’appuyer sur un consortium scientifique à la fois reconnu à l’échelle nationale et internationale pour sa valeur scientifique et son savoir-faire méthodologique, et par l’expérience collective déjà acquise des différents partenaires impliqués ici à travailler ensemble dans le cadre de précédents projets (FAIDORA 2016, EC2CO 2017-2019, ANR URBANTIT 2019-2023). Il s’appuie sur la volonté commune de mettre en place de nouveaux protocoles scientifiques (dont des données préliminaires permettent déjà de démontrer la faisabilité du projet) permettant d’innover en terme de détection d’effets souvent insidieux à l’échelle biologique, mais potentiellement importants à l’échelle de quelques générations. En quelques mots, les challenges scientifiques et la portée sociétale de Watchbirds permettront aux participants de placer leurs démarches dans un cadre plus intégré, porteur d’innovations y compris en dehors de l’unique sphère de la Science.
Cadrage
Le territoire situé dans l’environnement proche du Centre Nucléaire de Production d’Electricité de Fessenheim (noté « site » de Fessenheim ci-après) présente un écosystème unique pour évaluer les effets des expositions à de très faibles doses de métaux lourds (éléments traces métalliques), émis par les nombreuses activités industrielles, domestiques et agricoles de la région mais aussi des radioéléments, incluant ceux ayant une autorisation d’émission règlementaire par un CNPE (liquide et gazeuse), en plus des radioéléments naturels et artificiels émis par d’autres activités anthropiques (essais nucléaires, industries horlogères, pharmacopée…) (Rapport EDF, 2015).
Ce projet a pour ambition de mesurer les effets environnementaux sur les organismes vivants en analysant l’entrée des éléments traces métalliques dans la chaine trophique et en évaluant les conséquences sur la santé des organismes. Ce projet collaboratif entre des chercheurs de disciplines différentes va s’attacher à établir un diagnostic environnemental au temps 0, avant le début du démantèlement de la centrale. Ce projet se propose par la suite d’effectuer un suivi temporel des effets environnementaux sur les organismes sur un pas de temps de 5 ans, de façon répétée, jusqu’à la fin du démantèlement de la centrale en répondant à d’autres appels d’offre. C’est dans ce contexte épidémiologique des effets à long-terme de l’industrie nucléaire que le groupe taxonomique des oiseaux sera utilisé comme taxon sentinelle pour évaluer les conséquences pour la santé et l’évolution des espèces locales de l’exposition à de faibles doses des agents génotoxiques (radioactifs ou chimiques). L’évaluation des dommages de l’ADN constitue un outil majeur dans l’estimation des risques associés mais également dans l’optimisation de la prise en charge et de la surveillance des populations exposées. Dans ce cadre, le ciblage des télomères (un des marqueurs principaux du vieillissement animal) comme structure de surveillance de l’état de l’ADN génomique dans son ensemble, est particulièrement crucial, puisqu’ils sont, de par leur nature (riche en bases GC) et leur rôle (induction de la sénescence cellulaire en cas de dommages irréversibles de l’ADN génomique) extrêmement sensibles au stress.
Récemment, nous avons développé une technique haut débit permettant à la fois d’analyser les télomères (i.e. longueur mais aussi structure) et les modifications morphologiques des cellules qui sont considérées comme marqueur d’instabilité génomique. Il est aussi bien documenté que l’exposition des souris à de très faibles doses de rayonnements ionisants induit des troubles de fertilité tout comme l’effet des métaux lourds sur le dysfonctionnement des télomères. Les anomalies télomériques étant associées à l’infertilité humaine, les effets intergénérationnels pourront être évalués à travers la mesure des télomères dans des cellules récupérées de différents fluides corporels des oiseaux. Adossé aux données multiples, notamment de l’IPHC, faisant le lien entre télomères et état physiologique ou survie chez les oiseaux, ce projet permettra ainsi d’établir une base de données unique de dynamique des niveaux de stress environnementaux et de leurs effets sur les mécanismes liés au vieillissement, ce sur plusieurs générations.
Objectifs
L’objectif principal de ce projet est de quantifier le transfert possible de métaux lourds et de très faibles quantités de radioéléments tels que le Cobalt (60Co) rejetés par le CNPE et susceptibles d’entrer dans la chaine trophique. Nous analyserons les conséquences sur la physiologie (longueur des télomères et dommages de l’ADN) de plusieurs espèce d’oiseaux (passereaux) ayant colonisé ce territoire, et ce, à un temps 0 (avant démantèlement) puis sur plusieurs années (effets intergénérationnels). Ceci permettra d’établir une base de données unique de dynamique des niveaux de stress environnementaux et des dommages physiologiques induits sur plusieurs générations. Nous espérons que les résultats permettront de venir nourrir les réflexions scientifiques sur les conséquences de cet exposome sur la santé des populations humaines locales vivant autour de la centrale de Fessenheim.
- Mise en évidence (et quantification) de transferts possibles de métaux lourds (inhérents aux activités industrielles et urbaines (e.g., plomb, chrome, arsenic, cadmium, cuivre…) et de radioéléments auxquels ont participé les rejets/émissions du CNPE (e.g., tritium, cobalt-60, césium-137, …) le long d’une chaîne trophique terrestre (e.g., feuilles, invertébrés et graines, oiseaux), et identification / quantification des métaux et radioéléments dans les sols suivant des transects permettant de couvrir l’ensemble de la zone d’étude. Quatre sites seront suivis : 3 sites jusqu’à 10km de la centrale (industriels, agricoles, urbains) et 1 site au pourtour de la centrale.
- Etude des effets sur la physiologie (longueur des télomères et dommages de l’ADN) d’oiseaux (10 individus de 4 espèces de passereaux (2 insectivores et 2 granivores permettant de couvrir un large panel trophique plus) sur la zone suivie. Le point important de ce suivi est qu’il est bâti sur le temps long (plusieurs années) afin d’atteindre deux sous-objectifs : (i) établir une dynamique de présence ou des effets des radioéléments et autres polluants au sein des organismes étudiés, et (ii) d’établir les effets transgénérationnels de ces polluants (taux de transmission, dilution ou non des effets néfastes avec le temps, mécanismes physiologiques d’adaptation (ex : antioxydants…) à l’aide principalement du suivi longitudinal sur le long terme de la taille des télomères et des aberrations associées.
Méthodologie
La méthodologie pour établir les relations entre bioamplification des polluants et effets écophysiologiques se fera selon :
- L’évaluation de la concentration de polluants ingérés par dosages des métaux lourds (Pb, Cr, Cu, As, Cd) et radioéléments (naturels : U, et majoritairement artificiels : 137Cs, 3H, 60Co) issus de la nourriture consommée (invertébrés et graines) et présents dans les fèces des adultes de ces différentes espèces (160 fèces d’oiseaux sera collecté, soit 40 individus par site). 15 échantillons de sol, de feuilles, de Invertébrés/graines seront prélevés sur les 4 sites.
- L’analyse des métaux lourds dans les différents échantillons sera effectuée par ICP-MS, après minéralisation des échantillons. Pour les sols, des expériences de désorption des éléments traces métalliques seront réalisées en laboratoire (mise en contact des sols avec des solutions à différents pH) et les solutions expérimentales finales seront analysées par ICP-MS afin de quantifier les fractions labiles / mobiles.
- L’identification / la quantification des radioéléments seront effectués par spectrométrie ? à haute résolution à l’aide d’un détecteur Germanium HyperPur (GeHP). Cette méthode non destructive permet de doser en une seule mesure l’ensemble des radioéléments émetteurs gamma (naturels et artificiels) d’énergie comprise entre 20 et 3000 keV. Afin de tenir compte de l’hétérogénéité des échantillons, les efficacités de détection seront obtenues par modélisation Monte Carlo. Les mesures seront réalisées à partir de matrices solides (et des solutions expérimentales issues des expériences de désorption des sols). Les mesures par spectrométrie gamma pourront être complétées par des comptage par scintillation liquide afin de quantifier les teneurs en 3H dans les fractions liquides.
- L’évaluation non invasive de l’état physiologique de ces oiseaux via l’analyse de différents prélèvements (frottis buccaux, sperme, sang) et les mesures des télomères et des dommages de l’ADN, permettant des comparaisons interspécifiques. Dix individus de chaque espèce seront prélevés (total n=40) sur les 4 sites.
- Pour la quantification des télomères, une amélioration spectaculaire des méthodes en termes de précision et de sensibilité a été réalisée depuis le Southern Blot. Nous y avons participé via l’analyse automatisée des télomères permettant la quantification de la longueur moyenne des télomères mais aussi une évaluation qualitative de l’hétérogénéité intercellulaire en rapport avec la morphologie cellulaire dans un grand nombre d’échantillons (10 000 cellules analysées en moins de 2 minutes).
- D’autre part, le dénombrement des micronoyaux est une technique largement utilisée aussi bien en expérimentation animale que chez l’homme, in vitro et in vivo, pour l’évaluation de la génotoxicité de rayonnements ionisants et de produits chimiques. Les portions de chromosomes endommagées par l’agent génotoxique sont rejetées hors du noyau de la cellule sous forme de petites masses d’ADN ou micronoyaux, très faciles à comptabiliser. L’association du marquage des télomères et des centromères au test des micronoyaux permet de différencier les micronoyaux contenant des fragments chromosomiques acentromériques (micronoyaux sans marquage centromériques) et ceux contenant des chromosomes entiers (micronoyaux avec marquage centromériques) consécutifs, respectivement, à des événements clastogènes ou aneugènes.