Détails du projet

Évaluation de scénarios pour une transition énergétique, économique et sociale du territoire de Fessenheim

Lauréat
APR 2022
État du projet
Clos
Porteur
Nadège Blond & Thierry de Larochelambert
Unités
LIVE UMR 7362 - UNISTRA | FEMTO-ST UMR 6174 CNRS
Budget
8000 EUR
Discipline(s)
Écologie, économie, géographie
Mots-clés
Stratégies, Énergie, Impacts socio-économiques, Modélisation, Scénarios, Transition énergétique, Fessenheim

Les évènements climatiques, géopolitiques et socio-écologiques interrogent la résilience des sociétés face aux changements globaux, et notamment au réchauffement climatique. De manière à limiter leurs conséquences, des transformations de grande ampleur s’imposent dans les territoires, et ce partout dans le monde, pour limiter les émissions anthropiques de gaz à effet de serre. La région de Fessenheim est un territoire où les débats et les interrogations sont vifs suite la fermeture des deux plus vieux réacteurs nucléaires à eau pressurisée commerciaux. La question sur laquelle s’est focalisé le projet ESTEES est : Quelle reconversion énergétique peut être engagée pour positionner le territoire sur une trajectoire soutenable ? Les solutions et propositions sont nombreuses. Elles doivent être étudiées dans le détail pour guider les discussions sur des arguments chiffrés et objectifs. Ce projet étudie le système énergétique du Haut-Rhin. Plusieurs scénarios sont modélisés et simulés pour envisager l’évolution du système actuel vers un système plus sobre et efficace, basé sur une utilisation massive d’énergies renouvelables au détriment des énergies fossiles. Il est ainsi montré par exemple qu’une électrification totale du transport réduirait de 79,7% la demande d’énergie de ce secteur, et de 34% les émissions globales directes de CO2. L’implémentation de la technologie « smart charge » et V2G (vehicle-to-grid) permettrait d’économiser entre 30 et 40% d’électricité importée ou exportée. L’éradiction de l’usage de radiateurs électriques au profit de pompes à chaleur (PAC) ferait décroître de 10% la consommation totale d’électricité. Le passage de 50% du chauffage individuel aux réseaux de chaleur alimentés par des centrales à cogénération pourrait réduire de moitié les imports d’électricité. Ensemble, ces solutions associées à une utilisation plus importante de biomasse comme source d’énergie et avec électrification non pas de 100% mais de 50% du transport permettrait une diminution de 34% des émissions de CO2, ainsi que la réduction des flux d’électricité entre le territoire et l’extérieur de 30 %. Avec l’introduction d’énergie renouvelable variable dans la production d’électricité, la mise en place du stockage et de régulations possibles (c’est-à-dire l’optimisation des équipements énergétiques afin de limiter les excès), cette réduction pourrait atteindre rapidement plus de 60%.

Objectifs du projet et mise en contexte

L’année 2020 a marqué l’arrêt définitif des deux réacteurs de la centrale nucléaire de Fessenheim en Alsace. Cet évènement fait toujours l’objet de vifs débats sur plusieurs aspects : justification de la fermeture de la centrale, modalités de son démantèlement, approvisionnement électrique local et national et avenir du territoire.

La fermeture de la centrale de Fessenheim est l’occasion de ré-interroger les stratégies énergétiques à plusieurs échelles, locale, régionale et nationale. Il est rappelé que la majeure partie de l’énergie consommée localement (en particulier fossile, entièrement importée) n’a jamais été produite localement. L’électricité produite par la centrale nucléaire alimentait prioritairement le réseau national, ainsi que les réseaux allemand et suisse (32,5%) (Thiébaut, 2021).

Ainsi, comme partout en France et dans le monde, plusieurs questions sont posées : Comment penser une transition énergétique à l’échelle locale ? Quelles sont les possibilités de reconversion des territoires ? Comment les stratégies peuvent-elles s’appuyer sur la production locale d’énergies renouvelables ? Quelles particularités territoriales doivent être prises en considération ? Quelles sont les difficultés de mise en place de ces stratégies, autant que des structures (équipements de production, de stockage, de conversion, de distribution des vecteurs énergétiques ; interconnexions multi-énergies ; aménagements territoriaux) et des technologies nécessaires à la réalisation des objectifs énergétiques et climatiques ? Des questions plus spécifiques se posent sur le territoire de Fessenheim : comment le territoire peut-il gérer les transformations socio-économiques qui accompagneront et poursuivront la période du démantèlement de la centrale ? Les transformations potentiellement envisageables peuvent-elles assurer une nouvelle activité économique d‘ampleur ?

Le projet OHM Fessenheim ESTEES (2022-2023) a pour objectif l’« Évaluation de Scénarios de Transition Énergétique, Économique et Sociale de la région de Fessenheim ». Il s’est focalisé dans un premier temps sur l’étude et la simulation numérique du système énergétique du département du Haut-Rhin, pour lequel des données ont pu être collectées.

Le travail s’articule autour de deux tâches principales : (1) la création d’une base de données énergie-climat (BDEC) sur le territoire du Haut-Rhin pour l’année de référence 2018 (avant la fermeture de la centrale) ; (2) la simulation de différents scénarios de transformation du système énergétique du territoire envisageables aux horizons 2030-2050.

Méthodologies

La BDEC a été construite en intégrant des données annuelles détaillées et aggrégées pour l’année 2018, majoritairement fournies par ATMO Grand Est, des distributions de production/demande d’énergie collectées via d’autres organismes, ou des profils horaires souvent reconstruits par l’équipe de recherche ESTEES. Le logiciel EnergyPLAN de l’Université d’Aalborg (Danemark) a été utilisé pour simuler le système énergétique dans son intégralité, incluant les différents secteurs et vecteurs énergétiques, ainsi que ses interconnexions. Le modèle EnergyPLAN du système énergétique du Haut-Rhin 2018 a été validé en comparant les résultats de la simulation pour l’ensemble des secteurs énergétiques concernés, y compris leurs émissions de gaz à effet de serre (GES), aux données statistiques issues de ATMO Grand Est.

Différentes modifications du système énergétique de 2018 ont ensuite été simulées. Un premier type de modifications a porté sur les structures de production de chaleur : remplacement de tous les radiateurs électriques par des pompes à chaleur ou par des connexions à des réseaux de chaleur, alimentés ou non par des unités de cogénération. Un autre type de modification s’est focalisé sur l’électrification progressive du transport routier, avec ou sans technologies de stockage intelligent « Smart-charge » (ne permettant que le stockage de l’électricité par charge programmée des batteries) ou « Vehicle-to-Grid » (V2G, permettant le stockage et le déstockage de l’électricité dans les batteries). Des scénarios mixant ces modifications ont aussi été proposés pour envisager des couplages entre les systèmes de production de chaleur et d’électricité. L’analyse d’une intégration d’une part croissante d’énergie électrique renouvelable (50% solaire, 50% éolien) de 0% à 140% est étudiée avec et sans les régulations possibles des systèmes couplés de production de chaleur et d’électricité pour limiter les excédents d’énergie.

Les paramètres analysés sont : les émissions de CO2, les échanges d’électricité avec l’extérieur (valeur absolue de la somme des imports et exports du territoire), et la consommation d’énergie par combustible ou électrique. Les scénarios sont comparés au système énergétique 2018 sans production électrique nuclaire (arrêtée depuis, et qui, rappelons-le, était envoyée sur le réseau très haute tension (THT) national et européen et non sur les réseaux locaux), mais en considérant que l’électricité nucléaire en 2018 provenait d’une source pilotable extérieure par le réseau THT. Cette stratégie permet de montrer la dépendance du territoire à des imports et exports d’électricité.

Principaux résultats

La production d’électricité dans le Haut-Rhin en 2018 (hors centrale nucléaire de Fessenheim, 78,7%) provenait très majoritairement des installations hydroélectriques (20,5%) qui couvraient 53% de la consommation électrique, celle-ci représentant 22% de la consommation totale d’énergies finales. Les demandes en autres vecteurs d’énergie pour le transport, l’industrie et le résidentiel/tertiaire étaient surtout couvertes par les énergies fossiles (70 % de la consommation énergétique globale, près de 90% hors électricité).

Le remplacement de la totalité du chauffage électrique classique par des pompes à chaleur (S1 PAC), de la moitié du chauffage électrique individuel par des réseaux de chaleur inchangés (S2RC) ou alimentés en cogénération avec régulation d’équilibrage simultané de la demande en chaleur et en électricité (S3 RC Cog) impacte différemment les imports d’électricité du département (Fig. 1).

Figure 1. Import d’électricité (TWh/an) en fonction de scénarios de modification des systèmes de chauffage du secteur résidentiel et tertiaires par rapport à 2018.

À demande constante de chaleur et majoritairement dans les secteurs résidentiel et tertiaire, les pompes à chaleur (PAC) permettent d’économiser 54% d’électricité sur le poste chauffage (6 % par rapport à la consommation totale d’électricité). À efficacité et sources d’énergie inchangées, couvrir 50% de la demande de chauffage individuel par réseaux de chaleur alimentés en cogénération permet de réduire de 50% les imports d’électricité.

La figure 2 montre la baisse de consommation d’énergie et d’émissions de CO2 du secteur transport en fonction de la part de véhicules électriques dans la flotte de véhicule en circulation en 2018.

Figure 2. Consommation d’énergie du transport (TWh/an) en fonction du pourcentage et du type de véhicules électriques introduits dans la flotte par rapport à l’année 2018.

L’électrification totale du transport permet de baisser de 30% les émissions directes totales de CO2 et la consommation d’énergie d’environ 80% à demande constante de km parcourus. La Figure 3 en détaille les résultats en termes d’échange d’électricité (somme des valeurs absolues des imports et exports) pour une électrification de 50% du transport routier, avec trois types de recharge électrique : « Dump charge », qui correspond à une charge simple ; « Smart charge » qui désigne une charge intelligente modulée en fonction des variations de la consommation et de la production électriques du système ; « Smart charge + V2G » qui permet d’utiliser les batteries des véhicules comme moyens de stockage électrique pour offrir une meilleure flexibilité au système énergétique. Ces cas sont comparés à la situation de 2018, comprenant majoritairement des voitures thermiques.

Figure 3. Échanges extérieurs d’électricité (|import| + |export|) en fonction du type de voiture électrique.

On observe que, si l’électrification des véhicules accroît immédiatement les échanges d’électricité du fait de leur charge, les technologies Smart charge et V2G permettent de les réduire de 30 à 40% en augmentant la part des EnR électriques variables plus efficacement que sans électrification au-dessus de 60% (50% éolien, 50% PV).

Les résultats des scénarios mixant des changements technologiques et structurels dans les secteurs résidentiel/tertiaire et du transport (S1BASE : remplacement du fioul et en partie du gaz par la biomasse pour le chauffage ; électrification à 50% des transports, sans stockage électrique), activant la régulation et l’équilibrage des productions de chaleur et d’électricité avec stockages (S1SIM2222 ; avec 50% de V2G) pour limiter les excédants des productions d’énergie, sont présentés sur la Figure 4. Les émissions totales de CO2 du système diminuent de l’ordre de 40%, sans effet significatif de la régulation et du stockage.

Figure 4. Émissions de CO2 en fonction de scénarios mixant des changements technologiques et structurels dans les secteurs résidentiel/tertiaire et du transport.

Les échanges d’électricité avec l’extérieur diminuent fortement avec les changements opérés. En ajoutant du stockage, de la régulation-équilibrage, et l’introduction de solaire photovoltaïque (PV) et d’éolien dans la production d’électricité, il serait possible de diminuer drastiquement la dépendance électrique du territoire vis-à-vis de l’extérieur.

Figure 5. Échanges extérieurs d’électricité en fonction de scénarios mixant des changements technologiques et structurels dans les secteurs résidentiel/tertiaire et du transport, et d’un pourcentage d’introduction d’énergie renouvelable dans le mix énergétique de 2018.

Perspectives

Le travail a permis de construire une base de données qui décrit le système énergétique du département du Haut-Rhin, sur lequel se situe la centrale de Fessenheim. Il a aussi permis d’évaluer l’impact de scénarios de transformation de ce système vers une réduction des consommations d’énergies fossiles, des émissions de gaz à effet de serre, et des import-export d’énergie électrique.

Il en ressort que l’électrification intelligente (Smart charge + V2G) des transports associée à l’intégration d’une part importante d’EnR électriques variables est un levier important de réduction des dépendances électriques du département et des émissions de gaz à effet de serre, de l’ordre de 30% en électrifiant la moitié du parc automobile (ce qui correspond au taux de pénétration électrique prévu vers 2035).

Un second levier très efficace de réduction des consommations d’énergie et d’émissions de gaz à effet de serre mis en évidence dans ce travail est la combination du remplacement des énergies fossiles par les énergies renouvelables thermiques, combustibles et électriques dans les réseaux de chaleur alimentés en partie en cogénération ; de l’intégration des stockages aux réseaux d’électricité et de chaleur ; de l’extension simultanée des régulations de flexibilité et d’équilibrage des demandes et productions électriques et thermiques.

Pour aller plus loin et compléter les scénarios de transition déjà simulés, il est prévu d’inclure le levier puissant des mesures de sobriété comportementale et structurelle (énergie, alimentation plus locale et moins carnée, déplacements doux et collectifs, agroécologie), et celui des mesures spécifiques au secteur industriel (efficacité de procédés, changements de sources d’énergies, récupération, recyclage, etc.), deux types de mesures abordées partiellement dans cette étude.
L’intégration et le couplage accrus entre réseaux d’énergie, stockages et déplacements doit également être renforcée, ainsi que l’utilisation massive des technologies d’énergies renouvelables thermiques, et des technologies modernes d’hydrogazéification, pyrogazification de déchets végétaux, gazéification hydrothermale des effluents urbains et d’élevage, méthanation des rejets de CO2, etc.

La gestion fine des EnR variables doit aussi être explorée de manière plus intégrée avec l’ensemble des réseaux et stockages énergétiques et des mobilités électriques. En effet, seule l’introduction d’un ratio fixe d’EnR variables 50% éolien – 50% PV a été considérée. La variation de ce taux devra donc aussi être simulée, ainsi que la valorisation conjointe des autres potentiels énergétiques renouvelables (géothermies, solaire thermique, déchets biomasse, etc.).

La planification énergie-climat proposée dans ce projet s’est restreinte à une analyse du seul territoire haut-rhinois. Elle doit être intégrée dans un contexte régional, national et européen, ainsi que dans le contexte global du changement climatique et de tension sur les ressources. D’abord, l’ensemble des potentiels d’énergie de la région, utilisables de manière soutenable (géothermies, biomasses, solaire, éolien, microhydraulique, chaleurs fatales, etc.), des stockages et des couplages doit être mobilisé. Ensuite la mise en cohérence des échelles de planification énergétique, entre moyen et long terme, municipal et régional, doit être renforcée pour évaluer les dépendances du territoire avec les territoires voisins, mais aussi les co-bénéfices, les échanges énergétiques mutuels stratégiques pouvant être valorisés. dans une perspective de soutenabilité écologique, sociale et économique.

Enfin, la comparaison des scénarios énergie-climat multicritères simulés à partir d’un ensemble complet de paramètres structurels correspondant à des choix possibles de transformation territoriale doit être pensée comme une aide à la décision pour la planification pluriannuelle du territoire haut-rhinois post-Fessenheim en y intégrant une analyse économique détaillée des coûts, investissements, prix, emprunts, subventions, taxes, retours sur investissements, créations d’emplois, etc.

Plus-value pour le territoire

Le département du Haut-Rhin a été et reste très dépendant des énergies fossiles et électronucléaires, ainsi que de la capacité des réseaux électriques à importer ou exporter de l’électricité.

Les acteurs territoriaux ont tout intérêt à inclure dans leurs analyses et planifications énergie-climat futures tous les secteurs d’activités et tous les vecteurs énergétiques (chaleur, transport, élecricité, combustibles) de façon dynamique, intégrée, en interaction avec les territoires voisins.

Des technologies énergétiques efficaces existent qui peuvent être déployées sur le territoire dans des structures énergétiques repensées selon une architecture entièrement intégrée incluant les sobriétés et les contraintes climatiques pour réduire les besoins en énergie et les émissions de gaz à effet de serre (de Larochelambert, 2023). Elles seront d’autant plus efficaces si une régulation des flexibilités et équilibrages des réseaux d’énergie, ainsi que des stockages multi-énergie et multi-échelles optimisés sont mis en place.

L’intégration des sobriétés comportementales et structurelles est indispensable et complémentaire l’efficacité de ces nouvelles structures sur la réduction des consommations énergétiques et des émissions de gaz à effet de serre.
Les planificateurs, ainsi que l’ensemble des acteurs socio-économiques de l’énergie et des citoyens, doivent être attentifs à la nature, la provenance, l’impact climatique des énergies utilisées et à leur dépendance avec les territoires extérieurs. Ils doivent aussi intégrés leur planification dans les contextes climatiques et énergétiques attendus (qui imposera des tensions sur les ressources et les productions d’énergie ; notamment hydroliques).

Les données énergétiques et climatiques devraient être plus facilement accessibles et transparentes pour les citoyenes et pour les planificateurs, ce qui nécessite la mise en place de bases de données détaillées, structurées, compréhensibles et précises, cohérentes aux différentes échelles territoriales.

Références

EnergyPLAN Advanced energy system analysis computer model.

de Larochelambert T (2023) Le couplage intersectoriel intégré au cœur des Systèmes Energétiques Renouvelables Intelligents – Contribution à la SFEC, Atelier Couplage Sectoriel.

Thiébaut, V. (2021). Rapport d’information sur la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim, n°4515.

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