Détails du projet

Le Rhin supérieur, comme de nombreux cours d’eau, a fait l’objet par le passé de pressions liées (1) à des aménagements fluviaux très importants et (2) au rejet de substances polluantes telles que les métaux. Connaitre cette histoire est indispensable afin de protéger au mieux ces environnements. Par cette étude, nous avons montré le potentiel des sédiments fins de plaines alluviales fortement aménagées – qu’est celle du Rhin supérieur – comme archive sédimentaire des pressions humaines. Ces pressions tendent à diminuer depuis les années 1980, en lien avec la restriction des rejets dans l’hydrosystème fluvial. Nous avons également montré l’importance de l’élaboration du modèle d’âge précis et robuste, construit sur la base des cartes anciennes, de l’historique des crues et d’une combinaison de méthodes géochronologiques numériques.

Objectifs du projet et mise en contexte

Le Rhin supérieur entre Kembs et Strasbourg est fortement altéré par plusieurs aménagements et par l’implantation d’activités humaines qui ont pu rejeter des contaminant dans le fleuve. Les sédiments fins déposés régulièrement dans les plaines alluviales peuvent enregistrer les contaminations historiques et permettre leur étude. La compréhension de ces dépôts requiert néanmoins l’interdisciplinarité par couplage d’approches géomorphologiques, géochimiques et géochronologiques.

L’objectif est de construire un modèle interdisciplinaire de la trajectoire temporelle pluri-séculaire du socio-écosystème, afin de comprendre la co-évolution entre les dynamiques sédimentaires et des polluants, en lien avec la géo-histoire hydraulique. Pour reconstituer l’évolution spatio-temporelle des dépôts sédimentaires et des formes fluviales associées, et de leur composition minéralogique et chimique, nous avons combiné les approches de géomorphologie et sédimentologie avec de nouvelles méthodes de datations à très haute résolution stratigraphique et des approches géochimiques. Les résultats concernent une trajectoire temporelle longue, de l’actuel avec les dépôts de crues, au 200 dernières années et jusqu’aux sédiments holocène (collaboration avec la thèse de M. Abdulkarim) avec les archives sédimentaires.

Méthodologies

Cette étude repose sur plusieurs zones sélectionnées à l’aide d’un set de cartes anciennes (de 1778 à 2012), de photographies aériennes, de données topographiques (Lidar) et limnimétriques et d’une vaste campagne pénétrométrique permettant de spatialiser l’épaisseur des dépôts de sédiments fins. Sur cette base, 3 sites ont été sélectionnés et échantillonnés. Par ailleurs, des dépôts de crue ont été collectés en différents points le long du Rhin supérieur.

La datation précise des dépôts est réalisée à l’aide des informations issues des cartes anciennes, combinés avec des radionucléides à courte demi-vie (¹³⁷Cs, ²¹⁰Pb_xs) et des âges par luminescence (IRSL Single Grain). En complément, deux méthodes de luminescence profiling (P-OSL et IRSL Screening) permettent de caractériser l’homogénéité sédimentaire et la continuité des dépôts.

La granulométrie (Diffraction laser), la minéralogie (DRX) et la composision chimique (ICP-MS/AES) de tous les échantillons (carottes, fosses et dépôts de crues) ont été caractérisées.

Principaux résultats

L’étude diachronique d’un fleuve, à travers les cartes (cf. figure ci-dessous) et photographies anciennes est un préalable pour sélectionner un site d’étude. Ces cartes anciennes sont également riches en informations pour définir le cadre temporel de dépôt sédimentaire sur site. Par exemple, les cartes ci-dessous illustrent sur le site de Rhinau, que la sédimentation débute vraissemblablement dès la fin des travaux de correction (illustrés par la cartes de 1872), période à partir de laquelle un banc graveleux, où est localisé un des nos sites d’étude, commence à se végétaliser. Parallèlement, a vraisemblablement commencé une sédimentation fine qui s’est poursuivi jusqu’à aujourd’hui avec le maintien des inondations, malgré la canalisation (voir les différences entre les cartes de 1926 et 2012) grâce à la présence d’un chenal actif à proximité. Le modèle d’âge est confirmé et affiné par la combinaison de méthodes numériques de datation : luminescence pour la partie profonde, ¹³⁷Cs pour la partie superficielle. Ils indiquent une tendance de dynamique sédimentaire plus ou moins régulière y compris depuis la canalisation. Les résultats montrent aussi l’intérêt des nouvelles méthodes de luminescence profiling dans la compréhension d’une archive sédimentaire, même récente.

En raison de la variabilité spatio-temporelle importante des chenaux et des zones de dépôts de sédiments fins, les autres archives collectées dans cette étude couvrent des périodes temporelles plus restreintes que l’archive de Rhinau. Par ailleurs, les sédiments de plaines inondables déposés au-dessus des graviers le long du Rhin supérieur apparaissent généralement sableux. Rhinau constitue une exception et propose un contexte de dépôt de plus faible énergie, dans lequel les sédiments déposés sont limono-argileux. Or ce sont les sédiments fins qui adsorbent les métaux et présentent donc un bon potentiel « d’archive » des contaminations d’origine humaine.

L’archive de Rhinau (figure ci-dessus) présente une granulométrie et une minéralogie globalement homogènes sur l’ensemble de la fosse, sauf entre 80 et 90 cm, profondeurs pour lesquels une passée plus grossière – sableuse – est observée. Ce changement granulométrique est accompagné de changements minéralogiques et chimiques au sein de l’archive comme l’illustre le profil en zinc.

Dans sa partie supérieure de l’archive, malgré de très faibles variations sédimentaires dans la partie supérieure, l’archive sédimentaire de Rhinau atteste des enrichissements notables pour certaines espèces chimiques dont le zinc (cf. figure ci-dessus). Nous avons caractérisé le signal naturel/fond géochimique pour ces métaux (qui varie en fonction de la granulométrie), et ces valeurs ressortent de ce signal, constituant une anomalie. C’est le cas également pour le cuivre et le plomb, avec des anomalies, à leur maximum dans les années 1980 selon le modèle d’âge établi sur la base du ¹³⁷Cs, dont le pic correspond à l’accident nucléaire de Tchernobyle en 1986. En l’absence de changements minéralogiques et granulométriques importants, ces enrichissements sont interprétés comme résultant des activités humaines. Dans le cas du zinc, il s’agit possiblement d’une anomalie globale à l’échelle du bassin versant, le zinc étant très fréquemment utilisé en agriculture ou bien dans l’industrie.

Depuis les années 1980, la proportion de métaux tend à diminuer. Dans le cas du Zinc, ces valeurs restent toutefois supérieures à celles du fond géochimique, au-delà de 50 cm. Ces résultats sont en accord avec la composition chimique des matières en suspension à Bâle mesurées par la Commission internationale de protection du Rhin. Cette diminution récente des concentrations métalliques dans l’environnement fluvial est interprétée comme la réponse au double processus de désindustrialisation et de changements normatifs internationaux visant à restreindre les rejets industriels dans le Rhin (c.f. projet OHM Fessenheim « Géohistoire, dans l’espace du Rhin supérieur, des rejets industriels et de leurs impacts sur l’environnement dans un contexte d’évolution de la réglementation européenne », Ly Keng et al., 2020).

Perspectives

Ces approches peuvent être transposées à d’autres secteurs du Rhin (e.g., tronçons Rhinau-Strasbourg et Strasbourg-Lauterbourg) qui font l’objet de nombreux projets de restauration. Des études éco-toxicologiques pourraient être menées afin de prendre en compte les impacts des anomalies mises en évidence par notre étude sur la biodiversité. Il serait également intéressant d’effectuer des analyses de contaminants organiques (pcb, pesticides, etc.). Des analyses isotopiques permettraient aussi d’identifier finement les sources de ces anomalies. Enfin, il serait intéressant d’étudier la résilience des sédiments ainsi que l’effet des normes et mesures internationales dans les archives sédimentaires, en combinant un prolongement de la présente recherche avec l’étude « Géohistoire, dans l’espace du Rhin supérieur, des rejets industriels et de leurs impacts sur l’environnement dans un contexte d’évolution de la réglementation européenne » de Ly Keng et al. (2020).

Plus-value pour le territoire

Cette étude quantifie pour la première fois les variations du taux de sédimentation dans l’hydrosystème fluvial rhénan et montre l’évolution temporelle en métaux fixés par les sédiments fins. Les anomalies apparaissent cohérentes avec les bases de données sur l’évolution de la qualité des matières en suspension du Rhin. Ces anomalies sont interprétées comme résultant d’activités humaines.

La caractérisation de la trajectoire temporelle hydrologique, géomorphologique et géochimique des sédiments fins de la plaine inondable éclaire les réflexions des gestionnaires sur de futures stratégies de gestion et de restauration fonctionnelles des écosystèmes rhénans.