Détails du projet

Faits structurants, points de bascule et leurs influences sur un grand fleuve, le Rhin : approches historiques et prospectives

Lauréat
APR 2022
État du projet
Clos
Porteur
Cybill Staentzel
Unité
LIVE UMR 7362 - UNISTRA
Budget
8000 EUR
Discipline(s)
Écologie, géographie, géohistoire, géomorphologie, biogéochimie, géomatique, limnologie, phytosociologie, sédimentologie
Mots-clés
Connexions, Écologie historique, Points de bascule, Sédiments alluviaux, Déconnexions, Paléo-chenaux, Pollutions, Reconnexions, Trajectoires

La localisation de l’OHM Fessenheim, aux frontières de l’Allemagne et de la Suisse, dans une région fortement industrialisée en bordure du Rhin, en fait un objet d’étude unique. Au-delà des questionnements liés à la centrale elle-même, il est important de souligner la proximité et l’interdépendance de ce territoire avec le Rhin Supérieur et ses activités. Cette partie transfrontalière du fleuve vit des successions de déconnexions, connexions et reconnexions qui jalonnent et expliquent ses trajectoires spatio-temporelles d’état, d’usages et de services. Dans ce cadre, le projet DOMINO vise à caractériser le(s) point(s) de bascule pouvant modifier les trajectoires spatio-temporelles du socio-hydrosystème Rhin Supérieur au droit de Fessenheim et à identifier les conséquences des changements induits. Un second objectif vise à investiguer la question de l’opposition du visible/invisible au sein de ces trajectoires via l’étude de l’accumulation et de la remobilisation de micro-polluants tels que des contaminants organiques et inorganiques provenant de zones industrialisées en bordure du Rhin et séquestrés au sein des sédiments alluviaux. Nos actions de recherche visent ainsi globalement à « rendre visible » les processus écologiques, géochimiques et géomorphologiques qui ont été déterminants dans l’état actuel du fleuve. Nous souhaitons comprendre comment les usages et activités anthropiques influent sur la perte de fonctionnalité de nos socio-hydrosystèmes, y affectant non seulement la qualité des usages eux-mêmes mais également des services écosystémiques rendus par la biodiversité.

Cadrage

La localisation de l’OHM Fessenheim, aux frontières de la France, l’Allemagne et à proximité de la Suisse, dans une région fortement industrialisée en bordure du Rhin, en fait un objet d’étude unique. Il est aussi unique par les logiques énergétiques qui s’y affèrent et leurs transitions en cours, complexe par les aspects internationaux qu’il revêt. Ce territoire intègre la première centrale nucléaire française REP900 en exploitation commerciale depuis 1978, en bordure du Grand Canal d’Alsace sur le territoire de la commune de Fessenheim et au droit de l’île du Rhin. Les contaminants rejetés par le complexe industriel dans lequel s’inscrit le CNPE sont séquestrés dans les alluvions déposées à l’aval de Fessenheim. La fermeture de la centrale induit (i) une volonté de transition énergétique et écologique globale pouvant mener à une modification profonde des interactions Homme-Milieux au sein de ce territoire mais également, (ii) à une prise en compte majeure des grands enjeux environnementaux, tels que ceux du changement climatique, de la rareté des ressources, de la perte accélérée de la biodiversité et de la multiplication des risques sanitaires environnementaux. Il apparaît clairement que le démantèlement peut être un vecteur de reconnexion sociétale avec le fleuve ou une déconnexion bénéfique pour l’environnement.

Au-delà du prisme Fessenheim, il convient de souligner l’interdépendance de l’ensemble de ce territoire avec la gestion du Rhin, un fleuve transfrontalier très fortement anthropisé et aménagé, pour lequel la question de la connectivité et des points de bascule est de plus en plus prégnante. Une attention particulière est actuellement portée à la connectivité entre les éléments de différents socio-hydrosystèmes et les points de bascule au sein de leurs trajectoires par le groupe inter-OHM HYDECO. L’OHM Fessenheim fait partie de ce groupe avec une majorité des participants à cet appel. Le groupe HYDECO souligne que les socio-hydrosystèmes ont vu leurs composantes appréhendées, formalisées et gérées de manière déconnectée pendant des décennies. La construction d’infrastructures, la focalisation sur tel ou tel type de ressource ou d’exploitation ou l’importance symbolique d’un composant plutôt qu’un autre, ont créé des déséquilibres systémiques parfois imperceptibles sans prendre l’ensemble du système en compte. On peut ainsi citer la construction de barrages créant des déconnexions entre amont et aval des cours d’eau ou encore les relations complexes eaux souterraines/eaux superficielles/zones humides On peut aussi parler de la non-prise en compte de certaines déconnexions, camouflées par la connexion physique. Plus récemment, et dans le cadre de la prise de conscience de l’aspect intégré des socio-hydrosystèmes, des dynamiques de reconnexions ont commencé à apparaître. Celles-ci visent soit à rétablir de la connectivité ou de la relation sociétale, soit à mettre en valeur les connexions avec des éléments à une échelle plus large, comme le changement climatique ou encore à prendre en compte les risques de transfert de contaminants, voire de polluants liés à la restauration des flux entre un ou plusieurs compartiments. L’actuel projet DOMINO s’inscrit dans ce cadre en se focalisant sur l’OHM Fessenheim et ses spécificités.

Objectifs

Le projet de recherche DOMINO s’inscrit dans le cadre conceptuel proposé par le groupe inter-OHM HYDECO, qui cherche à analyser les influences de faits structurants sur les trajectoires évolutives des grands fleuves, dans notre cas d’étude le Rhin (ex. aménagements marquants & infrastructures, ouverture/fermeture du CNPE, pollutions accidentelles & contaminants, perturbations naturelles de type crues & changements globaux dont climatique). Le projet HYDECO intègre deux idées forces, étroitement liées, qui interrogent la notion de connexion, déconnexion, reconnexion : (i) le « point de bascule » (tipping points) et (ii) l’opposition visible/invisible. Ces deux idées forces sont celles que le projet de recherche DOMINO ambitionne d’investiguer. Elles feront l’objet de deux objectifs définis, en lien étroit avec les études menées dans le cadre du projet OHM Fessenheim depuis 2018.

Notre premier objectif est de caractériser le(s) point(s) de bascule et leurs influences au sein des trajectoires spatio-temporelles du Rhin Supérieur. Pour cela, il est envisagé de retracer les trajectoires écologiques de ce fleuve (écologie historique et fonctionnelle), d’identifier des séquences chrono-historiques de changement et de les coupler avec des évènements de changements physiques et sociétaux déjà identifiés. Les premières études menées dans le cadre de l’OHM Fessenheim s’intéressent en effet fortement à ces derniers aspects mais beaucoup moins à l’étude des trajectoires écologiques du Rhin supérieur. Ce projet permettra de combler cette lacune tout en étant centré sur la question plus large de savoir s’il existe des points de bascule (faits structurants) ayant altéré de façon irréversible les trajectoires spatio-temporelles d’état, d’usages et de services. Cela rejoint les débats scientifiques sur « l’effet cascade » (un petit changement et/ou la multiplication de petits changements pourrait entraîner un socio-hydrosystème dans un mode de fonctionnement très différent ; ex. changement de fonctionnalité ou de services écosystémiques) ou encore plus largement sur les questions d’équilibre/déséquilibre des socio-écosystèmes après la construction/destruction d’ouvrages.

Le second objectif du projet vise la caractérisation du poids des connexions/déconnexions hydro-géologiques dans l’accumulation et la remobilisation de polluants et interroge ainsi l’opposition visible/invisible. Plusieurs contaminants organiques, inorganiques et organométalliques proviennent de zones industrialisées en bordure du Rhin et sont piégés au sein des sédiments alluviaux. Les sédiments pollués sont ici des marqueurs spatio- temporels, soumis à des connexions ou déconnexions hydro-sédimentaires passées et actuelles (e.g. inondations) ou liés à des évènements ponctuels majeurs dans l’histoire du fleuve (e.g. accident de pollution de l’usine de Bâle Sandoz, 1986, qui a conduit à une révision globale de la gestion du fleuve), faisant ainsi varier leurs teneurs en polluants. Au-delà d’une étude spécifique d’un paléo-chenal modèle, ce projet interrogera également l’influence des paramètres comme la spéciation, le mélange et la concentration des contaminants provenant de l’environnement industriel et agricole sur son potentiel de remobilisation future une fois intégrés aux dépôts sédimentaires. In fine, ces deux objectifs rejoignent une même volonté, celle de « rendre visible » les phénomènes (processus écologiques, géomorphologiques, géochimiques, hydrologiques) aux yeux des sociétés concernées.

Méthodologie

L’emprise spatiale de notre étude intègre le corridor fluvial du Rhin mais également des secteurs alluviaux plus localisés – entre Neuf-Brisach et Gerstheim, situé en aval de Fessenheim où sont piégés les contaminants historiques rejetés par le CNPE Fessenheim et le complexe industriel dans lequel il s’inscrit. Les travaux envisagés seront soutenus par des travaux antérieurs ou en cours de réalisation tels que (i) l’étude des trajectoires et de l’évolution des polluants au cours du temps en aval du CNPE (Thèse de Cassandra Euzen) mais également, (ii) l’analyse géo-historique des rejets industriels dans un contexte évolutif des réglementations européennes sur la gestion des risques (Thèse de Caline Ly Keng), (iii) les travaux de Valentin Chardon sur les dynamiques de nappe et de géomorphologie fluviale, ainsi que, (iv) les travaux de Cybill Staentzel sur les dynamiques écologiques passées et futures (thèse 2018).

Plus précisément, il est envisagé pour le premier objectif de produire des frises chrono-historiques sur la base des séquences de changements déjà identifiées (géomorphologie, société) et d’y coupler des données écologiques (données faunistiques et floristiques, traits fonctionnels) issues d’un travail d’analyse d’archives et de recensement (Staentzel, 2018). Nous souhaiterions aussi proposer de nouvelles approches pour dessiner les trajectoires historiques et prospectives en utilisant des solutions de deep learning ou de télé-détection. D’autres composantes pourraient être ainsi intégrées au projet ; il est notamment prévu de travailler de manière privilégiée sur l’état de conservation de la forêt alluviale et les trajectoires associées (points de bascule). Nous pourrions extraire des métriques permettant de mesurer statistiquement la rugosité et réversibilité d’un point de bascule (selon sa nature, sa temporalité…), et d’en extraire des éléments utiles à la prédiction des trajectoires écologiques. En ce qui concerne le second objectif, des missions de terrain seront à prévoir pour caractériser in situ le poids des connexions/déconnexions hydro-géologiques dans l’accumulation et la remobilisation de polluants. Ce travail sera aligné avec celui de Cassandra Euzen.

L’objectif du présent projet est de prolonger ces études en les ouvrant à la question du risque potentiel que des paléo-chenaux déconnectés des circulations hydrologiques actuelles du Rhin par les aménagements passés puissent devenir des sources potentielles de pollutions « différées », notamment lors d’opérations actuellement envisagées ou en cours de restauration éco-hydrologiques du Rhin supérieur. Pour cela, nous visons l’étude d’un ou deux paléo-chenaux types déconnectés du système de circulations et d’inondation actuel du Rhin et dont la reconnexion serait envisagée dans le cadre des restaurations hydro- écologiques futures. La localisation de ces paléochenaux sera choisie pour permettre en particulier d’évaluer les potentiel impacts des phases de démantèlement sur les transferts de pollution dans l’hydrosystème rhénan ; ces sites ayant pour objectif de devenir des sites ‘sentinelle’ de ces impacts éventuels.

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