Identifier les valeurs auxquelles les individus adhèrent pour mieux comprendre leur jugement du risque nucléaire – le cas de Fessenheim
Cette étude a porté sur la question du risque nucléaire en France, s’inscrivant dans le contexte de la fermeture de la centrale de Fessenheim puis de son démantèlement à venir. Son objectif a été de comprendre les raisons aux controverses entre les différentes parties prenantes observées autour de cette fermeture et plus globalement du nucléaire. Pour cela, près de 300 citoyens de la région de Fessenheim ont été interrogés grâce à un questionnaire extensif permettant de « décortiquer » leur position sur le nucléaire. Les principaux résultats ont montré que les valeurs défendues par les citoyens, l’image qu’ils avaient du nucléaire, et la confiance qu’ils accordaient à différents acteurs du nucléaire sont autant de motifs à considérer pour comprendre les désaccords à propos du risque posé par le nucléaire en général, et les coûts et bénéfices perçus associés à la centrale de Fessenheim.
Objectifs du projet et mise en contexte
Cette étude est partie d’un double constat de terrain : d’abord, Fessenheim, « on en parle » ; Il y a en effet un fort écho médiatique autour de cette question (sur la période octobre 2018-octobre 2019, de nombreux reportages y ont été consacrés, dans des supports variés comme Le Monde, l’Express, Médiapart, 20 Minutes, France 3 Région, Europe 1). Ensuite, de manière concomitante, Fessenheim fait l’objet de nombreux débats et controverses entre différents acteurs (les élus locaux vs la représentation nationale vs l’exploitant EDF vs les associations de défense de l’environnement). Ces débats et controverses sont largement nourris par les incertitudes et les enjeux qui ont entouré et qui continuent d’entourer : la fermeture de la centrale (date, lien avec l’EPR de Flamanville : enjeu de confiance / méfiance vis-à-vis des pouvoirs publics) ; son démantèlement (durée, modalités : enjeu politique qui fera de Fessenheim un exemple à suivre ou un frein pour les autres sites) ; la reconversion des salariés (1000 salariés employés pour le fonctionnement de la centrale contre 200 agents pour son démantèlement : enjeu socio-économique pour la région entière) ; l’avenir du site (zone d’activités économiques, liaison ferroviaire, installations photovoltaïques : enjeu environnemental).
Dans ce contexte, l’objectif de cette étude – qui se situe dans le champ de la psychologie sociale expérimentale – a été de comprendre les raisons de ces désaccords, c’est-à-dire identifier les ressorts subjectifs à l’origine des conflits entre les diverses parties prenantes.
Méthodologies
Dans cette étude, un questionnaire extensif en ligne a été proposé à 279 habitants de la région de Fessenheim (63% de femmes ; âge moyen = 53 ans). La tâche de ces participants a consisté à répondre à un ensemble de questions portant sur leurs valeurs, leurs préoccupations environnementales, leur confiance en différentes sources d’information sur le nucléaire, leur évaluation affective du nucléaire, leur perception du risque nucléaire, et enfin leur estimation des coûts et bénéfices du CNPE de Fessenheim. Pour répondre à ces questions, les participants avaient à disposition des échelles de réponse en 5, 7, ou 11 points leur permettant d’indiquer par exemple leur degré d’accord avec telle ou telle proposition.
Principaux résultats
Les données recueillies ont été organisées sous la forme de modèles permettant de tester les relations multiples entre les variables en présence (valeurs, confiance…). Les principaux résultats ont montré que les individus adhérant à des valeurs hiérarchistes-individualistes faisaient confiance aux régulateurs et avaient une vision plutôt positive du nucléaire, avec pour conséquence une perception faible du risque nucléaire, et plus de bénéfices que de coûts associés au CNPE de Fessenheim.
Le pattern inverse de relations a été identifié pour les porteurs de valeurs égalitaristes et ceux fortement préoccupés par l’environnement.
Perspectives
Savoir si les résultats de cette étude menée sur le territoire de Fessenheim peuvent se généraliser au reste de la France et procéder à une comparaison Franco-allemande concernant ce qui fait et ce qui ne fait pas débat (ainsi que les raisons associées) sur le nucléaire font partie des perspectives de recherche à explorer.
Plus-value pour le territoire
Les résultats ont permis d’appréhender une partie des motifs à l’origine des controverses entre les individus concernant Fessenheim et plus globalement le nucléaire. Parmi ces motifs, on peut citer l’image véhiculée par l’énergie nucléaire et le degré de confiance accordée aux acteurs du nucléaire sur le territoire de Fessenheim. Savoir que l’image et la confiance sont des éléments-clefs de l’acceptation ou de l’opposition au nucléaire peut éclairer le régulateur en charge de sensibiliser les citoyens sur un tel sujet.