2012. Le changement, c’est maintenant. François Hollande crée une alliance profitable avec le parti écologiste dans sa course à l’Élysée. Une promesse de campagne émerge : diminuer la part du nucléaire dans le mix énergétique de la France. Le symbole : engager la fermeture de la plus vieille centrale du parc nucléaire français, celle de Fessenheim.
Même si le débat autour du CNPE de Fessenheim, et du nucléaire en général, fait partie intégrante de son histoire et remonte pour ainsi dire aux prémices de son installation sur les rives du Grand Canal d’Alsace, l’avènement de François Hollande en mai 2012 scellera son avenir : la centrale fermera.
C’est dès cette annonce, sans en connaître la date d’application réelle, que naît la réflexion de créer un outil d’étude autour de cet événement car il impliquera inéluctablement des modifications notables du territoire concerné. Outil d’étude pluri-disciplinaire qui plus est car l’impact est multi-facette : économique, sociétal, environnemental, etc. Pour ne citer que quelques exemples parmi tant d’autres : quid de l’impact de la disparition du bassin d’emploi généré par la centrale ? Quid de l’impact environnemental / écologique du démantèlement de la centrale ? Quid de l’impact des politiques de transition énergétique sur le territoire ? Autant de questions levées qui plaident en faveur de la création d’un outil d’étude dédié à ce socio-écosystème complexe.
L’OHM Fessenheim verra officiellement le jour le 06 juillet 2018 mais c’est dès 2013 qu’un travail collectif important a été mis en oeuvre pour la création d’un « observatoire » sur le territoire de Fessenheim. Voici, pour les plus curieux, un historique de la genèse du projet.
2013 – 2015 | Premières propositions
Le 15 septembre 2013 est organisée une rencontre entre la coordination du réseau RÉALISE, Réseau Alsace des Laboratoires en Ingénierie et Sciences pour l’Environnement de l’Université de Strasbourg, incarnée à l’époque par François Chabaux, et Jean-Jacques Blais, chargé de mission auprès du préfet de région. La rencontre porte sur la reconversion du site de Fessenheim dans le cadre de la mission interministérielle auprès du premier ministre, pilotée par Francis Rol-Tanguy.
L’objectif est de créer un volet spécifique des Contrats de Plan État-Région (CPER) qui servirait de plan de revitalisation du territoire. Une proposition de mettre en place un observatoire du démantèlement d’une centrale nucléaire émerge et reçoit un écho très positif de tous côtés. Tant et si bien qu’une réponse rapide sera faite à la sollicitation de Serge Kauffmann, délégué régional à la recherche et à la technologie (DRRT) pour la région Grand Est. Décision est prise d’intégrer un projet d’observatoire au volet Fessenheim des demandes CPER 2015 – 2020 intitulé « Observatoire interdisciplinaire des changements induits par le démantèlement de la centrale nucléaire de Fessenheim ». La fiche projet PL9 du volet Fessenheim pour les demandes CPER sera déposée le 12 novembre 2013.
S’en suivront plusieurs rencontres, témoin de l’excitation engendrée par ce projet d’observatoire. Le 15 mai 2014, la fiche sera d’ailleurs réactualisée suite aux discussions et maturations des projets CPER en relation avec la DRRT. Le 28 mai 2014, la direction du CNRS indiquera son soutien fort au programme scientifique interdisciplinaire à l’appui du projet, et à ses deux coordinateurs, Christelle Roy et François Chabaux. Enfin, à la fin de l’année 2014, la direction du réseau RÉALISE et la direction de l’Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC), en la personne de Christelle Roy, rencontreront Alain Gérard, préfet de la région Alsace et chargé d’une mission de réflexion sur la possibilité de création d’un cluster de démantèlement de centrales nucléaires dans l’espace du Rhin Supérieur. L’observatoire y sera remis en perspective et recevra un écho toujours aussi positif.
Cette première mobilisation néanmoins n’aura pas de suite car aucun financement du volet Fessenheim du CPER ne sera décidé tant que la fermeture ne sera pas actée. Et ce malgré l’intérêt fort du projet de suivre l’évolution de ce socio-écosystème avant, pendant et après que la décision de fermeture ne soit prise afin de pouvoir en évaluer les implications. Le projet annoncé de fermeture de la centrale n’est qu’un des premiers éléments, peut-être emblématique – en tous les cas fortement médiatique et médiatisé – de politiques de transition énergétique inéluctables. Prévoir les impacts des choix liés à ces politiques nécessite de comprendre comment nos socio-écosystèmes fonctionnent aujourd’hui afin d’anticiper leur réponse aux modifications envisageables / envisagées dans le cadre de ces politiques.
2016 – 2017 | Vers l’élaboration d’un nouveau projet
Sur la base à la fois de cette première expérience – malheureuse, de la situation tout à fait spécifique du Rhin Supérieur à la frontière de pays aux politiques énergétiques différentes, et enfin d’une structuration réelle des laboratoires alsaciens travaillant en environnement (CPER RÉALISE 2007 – 2014) et de leur mobilisation effective autour du premier projet, les discussions et réflexions se sont poursuivies localement autour de cette idée de création d’un observatoire pluridisciplinaire du socio-écosystème Fessenheim dans le cadre des politiques de transition énergétique.
Le 12 mai 2016, Christelle Roy sollicitera une réunion à la direction centrale du CNRS avec les représentants des directions scientifiques du CNRS – Éric Humler pour l’INSU, Sylvain David pour l’IN2P3, Robert Chenorkian pour l’INEE, Jean-François Tassin pour l’INC et Pascal Marty pour l’INSHS – et Jean-Marc Jelstch, représentant de la présidence de l’Université de Strasbourg dans le but de relancer le projet de structuration en en redéfinissant le cadre scientifique et politique, un projet d’envergure nationale autour de la question. Les coordinateurs du projet reçoivent à nouveau le soutien de la direction du CNRS et de l’Université de Strasbourg pour poursuivre la réflexion et la construction du projet. En soutien viendront l’attribution d’un CDD d’ingénieur de recherche de six mois par l’INSU renouvelé six mois par l’IN2P3, et l’attribution d’une enveloppe budgétaire spécifique de 10 000 EUR de la Mission pour l’Interdisciplinarité (MI) du CNRS pour couvrir les dépenses.
Mission est assignée par les / aux porteurs de mobiliser la communauté scientifique alsacienne, nationale et tri-nationale sur la construction d’un projet d’observatoire du socio-écosystème de Fessenheim dans le cadre des politiques de transition énergétique. Les atouts d’un tel projet :
- une région fortement impactée par l’installation d’une structure industrielle de production énergétique majeure / emblématique – le CNPE Fessenheim – d’ampleur nationale et européenne, qui a fortement structuré le paysage socio-économique et écologique au-delà de la seule zone d’installation du complexe industriel et dont l’impact reste encore paradoxalement méconnu,
- une région à la frontière de trois pays qui sont / seront marqués par des politiques de transition énergétique distinctes en réponse aux directives européennes,
- une région dont les politiques de transition énergétique seront à un moment ou un autre marquées par l’arrêt du CNPE Fessenheim, ou au moins son évolution,
- une communauté scientifique locale déjà bien structurée, impliquée et mobilisée autour des questions environnementales et de la question de la mise en place d’un « Observatoire Fessenheim ».
Le projet se réoriente autour de la structuration d’un observatoire pour comprendre l’effet structurant de l’implantation du CNPE Fessenheim sur son socio-écosystème et en définir l’impact spatio-temporel, mais aussi pour en « prévoir » l’évolution future en fonction des choix de politiques de transition énergétique adoptées, dont l’un pourrait être, mais pas nécessairement, la décision de fermeture du CNPE.
De mai 2016 à juin 2017, une mobilisation active et collective de la communauté scientifique – alsacienne dans un premier temps puis rapidement ouverte aux universités Eucor, Interreg et nationales – mènera à la co-construction d’un premier pré-projet. Ce workshop marquera une étape fondatrice et prospective clé en vue de la définition des grandes orientations que pourrait prendre ce projet, de sa temporalité et de son ouverture. Cette étape a mobilisé plus de soixante collègues issus de nombreux laboratoires. Retour sur quelques dates clés.
La réunion des tutelles du 15 mai 2016 sonnera la mise en place d’un groupe de travail – comité scientifique – qui participera activement à des rencontres avec institutions, industriels, et universités nationales et européennes dans le but de promouvoir, enrichir, élargir, fédérer et structurer le projet d’observatoire.
- 30 septembre 2016 : mise en place de groupes de travail pour réfléchir à la notion d’« indicateurs » de fonctionnement du socio-écosystème considéré, et à la structuration scientifique que pourrait prendre un tel projet.
- 7 – 8 octobre 2016 : participation au kick-off meeting du groupe Interreg à Freiburg pour informer et présenter une pré-proposition aux collègues transfrontaliers. Participation de laquelle naîtront le 15 octobre suivant trois groupes de travail autour des thèmes environnement, énergie, société.
- 8 novembre 2016 : réunion téléphonique avec l’IRSN.
- 15 décembre 2016 : suite à la première restitution des groupes de travail, décision est prise de rédiger un « livre blanc » constituant une première trame des orientations qui pourraient être prises dans le cadre du projet.
- 18 janvier 2017 : le premier texte synthétique du pré-projet Fessenheim est présenté aux groupes de travail qui sont appelés à le discuter et l’amender, puis envoyé à Serge Kauffmann, DRRT pour une réunion à la région Grand Est.
- mars 2017 : le projet est présenté à l’Université de Haute-Alsace qui viendra étoffer le comité scientifique.
- de mars à juin 2017 : différentes réunions et tables rondes du comité scientifique sont organisées pour présenter, discuter et valider le pré-projet dans le but de le présenter à un colloque sur Fessenheim jugé décisif et qu’il est prévu d’organiser fin juin 2017.
Les 29 et 30 juin 2017, Christelle Roy et François Chabaux organisent un colloque à l’École et Observatoire des Sciences de la Terre (EOST) de l’Université de Strasbourg. C’est le premier colloque sur l’observatoire du socio-écosystème du site de Fessenheim, une réflexion sur la mise en place d’un outil d’étude pluridisciplinaire de l’impact global de la fermeture du CNPE. Il est organisé en trois tables sur les thèmes société, environnement et énergie, suivi d’une table ronde de synthèse. Dominique Badariotti sera notamment à l’origine de la table ronde Représentations collectives, dynamiques, sociétales et mutations urbaines, dans le cadre du fonctionnement socio-économique et paysager du socio-écosystème Fessenheim. Ce colloque se veut ouvert, c’est-à-dire que tout le monde est invité à y participer et peut assister à tout. Il fera d’ailleurs l’objet d’un encart dans le magazine scientifique La Recherche – « Fessenheim à la loupe », La Recherche n°527, septembre 2017.
Ce sera effectivement à l’occasion de ce colloque que le CNRS proposera de monter un observatoire. Ce colloque aura été le réel déclencheur de ce qui est aujourd’hui le 13ème Observatoire Hommes-Milieux.