Médiations dans la gestion des projets d’aménagement post-démantèlement de la centrale nucléaire de Fessenheim
Ce projet intervient dans un contexte particulier, le Projet d’Avenir du Territoire de Fessenheim (PATF), signé le 1er février 2019. Il y est question du projet EcoRhéna, de l’aménagement d’une zone portuaire à destination de la SEMOP et d’une zone industrielle et d’un technocentre qui vocation à accompagner les projets de déconstruction européens par le traitement des composants des centrales nucléaires.
Notre étude a un double objectif. Le premier vise à comprendre comment la stratégie économique de développement s’est traduite sur une carte : choix du territoire et des zones à vitaliser (disponibilités des surfaces foncières disponibles). Autrement dit, il y a ici un véritable enjeu paysager avec, en filigrane, un double avenir – construire et communiquer – du fait de la transformation du paysage en sachant que le scénario final, inscrit dans le PATF, couvre un périmètre matriciel autour de la transition énergétique. Autrement dit, il revient sur la définition des différents scénarios et la perception des impacts des activités futures. Il complète des travaux initiés dans le cadre du projet Eucor-Fessenheim. Le second porte sur les controverses naissantes autour du technocentre et a pour objectif d’étudier les processus de mobilisation à l’œuvre tant en France qu’en Allemagne mais aussi les enjeux juridiques inhérents à l’existence même d’un technocentre.
Motivations
L’objet « projet EcoRhéna » convoque plusieurs logiques et rhétoriques renvoyant à plusieurs légitimités. Un des aspects de notre projet vise à nourrir une réflexion autour de la notion de substitution : substituer est une dynamique, une nouvelle trajectoire qui, sur un territoire, représente davantage qu’un simple remplacement d’une activité industrielle par une autre (nucléaire / transition énergétique). Cette substitution est, sur le plan de la rhétorique, primordiale car elle contribue à l’acceptation des futurs possibles. Grâce aux différents résultats de cette recherche, il sera possible de s’interroger sur les modalités de diffusion de cette stratégie de substitution pour en entrevoir les mécanismes d’insertion dans le système sociotechnique. Sur le plan scientifique, notre étude aborde deux angles :
- Premièrement, l’attention se concentre sur la construction d’un territoire et de sa perception par les acteurs – non pas à travers des dangers ou des risques – mais davantage sur le cadre dans lequel il s’est construit, des expertises collectives et des débats avec les parties prenantes.
- Deuxièmement, le cadre interpelle les modalités de gouvernement par le biais des modifications des cadres règlementaires qui encadrent le territoire.
Dans ce contexte, il s’agit de s’interroger sur les modalités à mettre en place pour construire un dialogue avec la société autour du nucléaire, des relations entre les savoirs d’experts et les citoyens (experience-based experts) avec, en filigrane, la question centrale de mieux caractériser les verrous de la transition. L’identification de ces processus permettra ensuite d’identifier les opportunités ou les risques d’une dynamique territoriale transfrontalière de transition qui fait suite à la fermeture d’une centrale nucléaire.
Cadrage
Nous proposons une approche globale du territoire à travers les enjeux environnementaux (biodiversité, continuités écologiques, incidences sur les eaux, déplacements) et à l’aune des enjeux économiques et sociaux (950 emplois attendus).
C’est pourquoi le premier axe du projet vise à rendre compte, à travers une revue de presse et l’analyse de documents d’urbanisme, des modalités mises en place pour aboutir au choix des sites accueillant les projets de revitalisation. En effet, le PATF propose une nouvelle métrique autour de la transition énergétique, une volonté de construire un territoire bas carbone avec une liste de plusieurs priorités et périmètres d’action. Il sera pertinent de détailler comment ce nouveau principe d’action a pu influencer les projets et agréger des types d’activités en intégrant (ou pas) la démarche « Eviter-Réduire- Compenser » afin de tenir compte de contraintes liées aux déplacements (portuaire, routier) ou encore au réseau collectif d’assainissement, etc. Par conséquent, cet axe se concentre sur le processus qui transcrit l’objet – le projet EcoRhéna – sur une carte afin de réfléchir à la représentation des espaces naturels et artificiels.
Le second axe porte sur les enjeux du projet de technocentre. Celui-ci soulève deux questionnements essentiels inhérents au devenir des déchets très faiblement radioactifs : d’une part, la potentielle stratégie de recyclage et la filière à développer, d’autre part, le changement de réglementation. Dès lors, un besoin de capitaliser des connaissances via des retours d’expérience (approche comparative avec d’autres pays comme l’Allemagne, la Suède ou le Royaume-Uni) s’impose. En effet, certains pays ont catégorisé ces déchets comme des déchets conventionnels, autorisant ainsi, une libération dans des filières qui ne sont pas forcément nucléaires. L’étude a pour objectif de mettre en perspective la manière dont cette question technique a été problématisée au travers du contexte des mobilisations et des acteurs en présence. L’étude soulève deux types de débats : le premier débat concerne l’acceptabilité du technocentre en tant qu’acceptation de l’identité nucléaire du territoire. Le second débat fait apparaître un besoin de médiation qui dépasse les simples considérations d’information des citoyens.
Objectifs
Dans ce travail, seront particulièrement mis en avant les formes de mobilisation qui, au final, pose la question de la capacité à mettre en œuvre l’un des projets du PATF et de la forme de la gouvernance de l’après-nucléaire porteuse d’une dynamique de transition énergétique. Les objectifs de cette étude sont, à cet égard multiples et complémentaires :
Objectif 1 : Etablir une base de données cartographiques des différentes représentations du projet EcoRhéna et des enjeux afférents dans les différents documents officiels
- Comprendre comment l’objet/projet EcoRhéna s’est construit dans un espace géographique et comment il s’agence dans l’espace géographique du PATF. Les contours de cet espace géographique du PATF pourra également faire l’objet d’une définition plus fine et pertinente ;
- Mettre en exergue les calendriers décisionnels, organisationnels et administratifs permettant d’aboutir à la sélection des sites et à leur adaptabilité au PATF ;
- Présenter les adaptations nécessaires et les éventuels points de blocage que ce soit fiscalement ou dans les différents documents d’urbanisme (PLUI, SCOT, SRCE, etc.) permettant au projet EcoRhéna de se réaliser ;
- Interpréter la perception du projet EcoRhéna par différents acteurs du terrain sous le prisme du processus d’abstraction cartographique (abstractions sémantique, géométrique, graphique).
Objectif 2 : Objectiver les arguments mis en avant dans le cadre du projet technocentre
- Comprendre comment certaines stratégies langagières ou argumentaires « occupent le terrain » et interpréter les formes de mobilisation et les jeux d’acteurs qui conduisent à des inerties afin de construire des outils pour agir. L’approche est ici rétrospective pour dégager les enseignements dans la structuration des controverses autour du technocentre : comment une figure d’autorité ou porte-parole émerge ; quel est le rôle des influenceurs, etc ;
- Sonder, des deux côtés de la frontière, s’il existe des discours / perceptions partagés afin de savoir quand est-ce que l’information fait conflit ;
- Poser la genèse de la singularité réglementaire française des déchets dits de très faible activité par le biais d’un état de l’art resitué dans l’approche réglementaire européenne ;
- Déterminer, par le biais d’une approche comparative, les stratégies retenues par d’autres pays européens en matière de démantèlement afin de définir les enjeux en termes de filières, d’organisation et d’orientations.
Méthodologie
Notre approche est inductive, qualitative, empirique. Elle se révèle novatrice à deux titres.
Premièrement, des entretiens seront menés par le biais de la méthode ZADA (Zonage à dires d’acteurs) dans le triangle Colmar / Mulhouse / Fribourg, avec entre autres les communes de Nambsheim, Blagau, Geiswasser, Heiteren. La méthode ZADA se propose d’effectuer une enquête auprès de la population afin d’obtenir une cartographie des représentations spatialisées du territoire connu et pratiqué par les acteurs mais aussi de sa qualité environnementale (zones d’intérêts, risques identifiés, …).
Deuxièmement, elle propose d’organiser un serious game (jeu de discussions) pour sensibiliser les habitants du territoire aux enjeux et aux incertitudes inhérentes à ce projet industriel et de réfléchir collectivement aux défis qui en découlent. La participation de la Nef des Sciences constitue un appui incontestable du fait de son expérience dans différents dispositifs de médiation scientifique dont les jeux de discussions.
L’approche méthodologique est triple : d’une part, elle repose sur une approche transversale de la littérature scientifique ; d’autre part, elle propose une analyse des discours écrits et/ou oraux sur la planification des modifications paysagères induites par le projet EcoRhéna et enfin sur les représentations spatialisées des enjeux. Nous partons du constat d’un besoin de réfléchir à la transition énergétique d’un territoire avec ce défi de comprendre comment « une transition énergétique en train de se faire » se construit et est discuté dans un territoire. En effet, la difficulté à appréhender l’acceptabilité d’une nouvelle activité uniquement approchée sous l’angle du risque englobe indubitablement une dynamique négative en termes d’acceptabilité et de faisabilité.