Détails du projet

Fessenheim : construction et évolution d'un territoire transfrontalier par ses réseaux d'acteurs

Lauréat
APR 2020
État du projet
Clos
Porteur
Teva Meyer
Participant
Fleur Laronze
Unités
CRESAT EA 3436 - UHA | DRES UMR 7354 - UNISTRA
Budget
3 000 EUR
Discipline(s)
Géographie, géohistoire
Mots-clés
Réseaux, acteurs, transfrontaliers, géohistoire, nucléaire, Fessenheim

Ce programme propose de documenter les dynamiques de déterritorialisation et/ou de reterritorialisation du nucléaire dans le Rhin supérieur en examinant la construction des réseaux transfrontaliers d’acteurs militants, politiques, administratifs, industriels et économiques ainsi que leurs reconfigurations suivant la fermeture du CNPE de Fessenheim.

Objectifs du projet et mise en contexte

Les premiers travaux menés sur l’histoire transnationale du militantisme antinucléaire à Fessenheim ont montré́ l’existence d’un territoire réticulaire transfrontalier construit entre la France, l’Allemagne et la Suisse par des réseaux d’acteurs polarisés par la centrale de Fessenheim. Focalisées sur la genèse de la contestation associative, ces recherches ne permettent ni de faire état de la complexité typologique de ces réseaux et des territoires qu’ils dessinent ni d’évaluer leurs dynamiques. L’objectif de ce programme était de dépasser ces positions afin d’identifier, d’une part la diversité des réseaux agrégés par la centrale et, d’autre part, leur évolution dans le cadre de la fermeture de la centrale. Cette recherche, mobilisant des historiens, géographes et anthropologues, a reposé sur trois axes de travail.

Le premier visait à constituer un T0 en identifiant les réseaux transfrontaliers d’acteurs constitués par la centrale de Fessenheim et les projets nucléaires avortés dans le Rhin supérieur. Il s’appuie sur la littérature en systémogénèse des territoires transfrontaliers par les réseaux.

Le deuxième proposait de questionner les reconfigurations de ces systèmes et des territoires qu’ils produisent suite à l’annonce de la fermeture de la centrale et au développement de projets de reconversion en observant les processus de disparition/apparition/repositionnement d’acteurs.

Enfin, le troisième axe ambitionnait de mettre en place les outils méthodologiques permettant de monitor les transformations futures des systèmes d’acteurs durant le processus d’arrêt et de démantèlement de la centrale.

Ce programme devait également réfléchir à des outils de médiatisation artistique des résultats scientifiques sur ces réseaux, en partenariat avec le Musée d’Art contemporain de Mulhouse, la Kunsthalle.

Méthodologies

L’établissement du T0 a été réalisé dans le cadre de deux travaux de recherche menés par William Groussard, masterisant en Histoire économique co-financé par la Fondation EDF et Valéry Bordois, en doctorat d’histoire à l’Université de Haute-Alsace.

Mobilisant une approche prosopographique, Valéry Bordois a cherché à identifier les passeurs, ces personnes-ressources servant de nœuds transfrontaliers pour les réseaux militants. Valéry Bordois a dépouillé des sources d’archives inédites dans les fonds militants (Archiv der Badisch Elsässischen Bürgerinitiativen ; Fonds « amis de la Terre » ; Archives du CSFR) ainsi que des archives des renseignements généraux (Fiches des RG Archives du cabinet du ministre de la Défense ; Fonds « Cabinet du préfet » et « RG » (Archives départementales 67 et 68) ; Archives de la direction régionale des RG).

William Groussard a mené une enquête mêlant histoire économique et histoire politique afin d’identifier les stratégies de constitutions de réseaux notabiliaires locaux par EDF afin d’assurer un soutien à l’installation de la centrale. Pour ce faire il a dépouillé les archives départementales du Haut-Rhin ainsi que les archives historiques d’EDF.

Enfin, Teva Meyer et Benjamin Furst ont mis en place un outil de suivi des réseaux via une cartographie des controverses mobilisant des sources extraites de Twitter. L’objectif était d’identifier des communautés de discussions transfrontalières à l’occasion d’évènements concernant la centrale. Les données ont été extraites et traitées via le logiciel Gephi.

Principaux résultats

Les travaux de William Groussard révèlent la présence d’un personnel politique relativement favorable à l’arrivée du nucléaire. Il témoigne, plus largement, des opérations de sensibilisation et de vulgarisation scientifique organisée par EDF pour favoriser l’accroche locale et en particulier de l’édition de tracts dans l’objectif de lutter contre la communication antinucléaire. L’entreprise mène une action particulière auprès des Chambres de Commerces, d’Industrie, d’Agriculture et des Métiers en Alsace afin de s’assurer de ces relais locaux et d’éviter la grogne des paysans et de constituer un maillage d’entreprises locales mobilisées pour la construction de la centrale. Ces actions permettent de constituer un « noyau dur » d’acteurs influents pronucléaire. Parmi eux, EDF porte une attention toute particulière aux médecins et aux enseignants, considérés comme des notables locaux pouvant servir de leur influence. Plus encore, EDF anticipe les conflits entre municipalités pouvant émerger de l’arrivée de la centrale, en se rapprochant rapidement du syndicat intercommunal à vocation multiple. Mais face à cet activisme, l’analyse des archives montre les erreurs d’appréciation initiale face à l’antinucléarisme allemand que l’entreprise n’anticipe pas, voire minimise comme une simple déviance passagère. Ainsi, les recherches de William Groussard donnent à voir une histoire du fait pronucléaire à l’échelle locale dans une historiographie majoritairement concentrée sur l’antinucléarisme.

Les travaux de Valéry Bordois ont produit une base de données inédite des acteurs « passeurs » des réseaux antinucléaires, de leurs liaisons avec d’autres causes, ainsi que des principales ruptures générationnelles. La dimension locale des combats antinucléaires des années 1970 est évidente. Partout, ils semblent s’enraciner autour des sites d’installation des équipements et ciblent en premier lieu des décideurs locaux et nationaux. Mais ce premier constat apparaît aussi en partie en trompe-l’œil car, dès la première manifestation du printemps 1971 à Fessenheim, tous les marqueurs d’une transnationalisation en gésine sont repérables : celui de la circulation des informations tout d’abord. Une brochure distribuée à tous les élus de la région inaugure une forme de mobilisation fondée sur une veille scientifique internationale : les données des lanceurs d’alerte américains, en pointe sur la question, y côtoient celles de scientifiques européens. Un deuxième marqueur est celui de la participation effective des militants : en plus des Alsaciens et des représentants originaires de nombreuses régions françaises, quelques étrangers, allemands surtout, mais aussi anglais et américains participent à la manifestation. Cette contribution internationale débouche quelques mois plus tard sur ce qui constitue un troisième marqueur : celui de la jonction entre les mobilisations nationales. En décembre 1971, 47 associations venues de RFA, de Suisse, de Belgique, d’Autriche, des Pays-Bas et de Suède se réunissent à Strasbourg et décident de la création d’une première fédération des comités antinucléaires européens administrée depuis Vienne, Brême et Bâle. Son acte de naissance, rédigé sous la forme d’une « mise en garde », cible de nouveaux acteurs comme les institutions européennes, et même au-delà, puisqu’une première action confiée aux membres suédois et allemands est programmée pour le sommet de la Terre de Stockholm en juin 1972. D’autres initiatives prennent ensuite le relais, portées par la mouvance fédéraliste ou la contre-expertise. Plusieurs associations antinucléaires européennes et américaines sont ainsi la cheville ouvrière du contre-sommet de Salzburg au printemps 1977, mêlant experts et militants, destiné à faire le pendant d’une conférence de l’AIEA tenue dans la même ville. La thèse en cours de Valéry Bordois, que ce programme a permis d’environner, montre le rôle de l’information dans la structuration des réseaux, et propose une typologie novatrice des « passeurs ».

Les travaux menés sous Gephi ont permis de suivre la naissance de nouveaux réseaux militants pronucléaires sous l’impulsion de la fermeture de la centrale. Ces réseaux trouvent des centralités autour de quelques journalistes aux messages favorables à l’atome, ainsi que de certains acteurs relais d’opinion travaillant dans le secteur et particulièrement actifs en ligne. Comme anticipé, ces communautés sont principalement françaises ou marginalement anglophones, et reste largement séparé des germanophones. Ces derniers tendent à s’effacer à mesure de la fermeture de la centrale nucléaire, et leur liaison avec le côté français ne s’exprime plus qu’au travers des connexions existantes avec les communautés opposées au nucléaire. La fermeture de la centrale entraîne ainsi des restructurations des réseaux d’acteurs dans l’espace public, à mesure qu’émergent de nouveaux systèmes pronucléaires.

Perspectives

Ces recherches ont permis de répondre à un appel à projet des Maisons des Sciences de l’Homme, entre la MSH Alsace et la MSH du Pacifique dans le but de comparer la constitution de réseaux transnationaux antinucléaires. Le projet arrive à sa fin en 2023.

Parallèlement, ces travaux invitent à lancer de nouvelles recherches sur les réseaux transnationaux pronucléaires, qui réémergent après l’arrêt de Fessenheim et se sont consolidés en 2022.

Plus-value pour le territoire

Cette recherche a permis de solidifier et d’élargir les connaissances sur les solidarités transnationales, favorables ou non au nucléaire, que l’histoire de la centrale de Fessenheim a constitué. Alors que la fermeture de la centrale a soulevé des tensions entre les deux côtés de la frontière, ces travaux montrent la solidité et la diversité de ces liens qui pourraient être patrimonialisés. Ce projet a ainsi montré l’existence concrète d’un territoire franco-allemand, fait d’échange quotidien, matérialisant physiquement la coopération à l’échelle locale.

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