Analyse du Cycle de Vie des traitements de déchets à très faible activité : cas du démantèlement de Fessenheim
Il a été démontré que les traitements de déchets nucléaires contribuaient de manière significative aux impacts environnementaux dans le cycle de vie complet d’un centre nucléaire de production d’électricité (CNPE). Certains pays voisins permettent d’en recycler une partie : Les déchets à très faible activité (TFA). En France les projets de textes relatifs à la « valorisation » de métaux TFA sont actuellement en consultation publique. Il existe très peu d’études d’impacts environnementaux de traitement des déchets TFA. Concernant le projet de démantèlement du CNPE Fessenheim, le recyclage des déchets TFA ne fait pas consensus entre l’autorité de sureté nucléaire, les associations environnementales et la région. Nous proposons dans ce projet ACYVI-TREFA d’évaluer les impacts environnementaux de différents scénarios de traitement de déchets TFA issus du CNPE de Fessenheim par la méthodologie de d’Analyse de Cycle de Vie (ACV). Nous positionnons l’ACV à l’interface des activités anthropiques, de l’environnement et de l’économie afin de proposer des recommandations sur la gestion des déchets TFA et diminuer ses impacts environnementaux. Le projet ACYVI-TREFA consiste à réaliser une étude des impacts environnementaux liés (i) à un centre de stockage de déchets radioactifs TFA ; (ii) à un procédé de fusion des déchets TFA métalliques, afin d’apporter la connaissance et une aide à la décision en matière de gestion environnementale des déchets TFA
Objectifs du projet et mise en contexte
Lors d’études antérieures, il a été démontré que les traitements de déchets nucléaires contribuaient (de 25 à 70%) à certains impacts environnementaux (Seier et Zimmermann, 2014 , Wallbridge et al., 2013 ) dans le cycle de vie d’une centrale (depuis sa construction jusqu’à sa fin de vie). Cependant très peu d’études ont conduit des analyses de cycle de vie au sujet des traitements de déchets TFA. En ce qui concerne le centre nucléaire de production d’électricité (CNPE) de Fessenheim, un rapport d’information a été déposé à l’Assemblée Nationale le 6 octobre 2021, dans lequel il est question du recyclage de déchets métalliques faiblement radioactifs. On peut y lire que ce projet de recyclage ne fait pas consensus entre l’autorité de sureté nucléaire, les associations environnementales et enfin le Bade-Wurtemberg. Cependant au-delà de toute considération politique, il semble nécessaire d’apporter des évaluations quantitatives des impacts environnementaux au sujet de traitement des déchets TFA.
L’objectif général du projet est l’étude des impacts environnementaux liés (i) à un centre de stockage de déchets TFA, (ii) à un procédé de fusion des déchets TFA métalliques.
Les objectifs spécifiques du projet sont :
- Détermination et quantification des flux de matériaux, énergies et émissions issues du stockage ou des divers procédés de recyclage des déchets TFA.
- L’évaluation des impacts environnementaux générés par ces différentes substances.
- Une étude environnementale comparée des différents modes de gestion des déchets TFA.
L’enjeu scientifique : la modélisation par l’Analyse de Cycle de Vie (ACV) des différents scénarios de traitements de déchets TFA.
L’enjeu technique : L’évaluation d’une hypothétique valorisation environnementale et économique des déchets TFA.
L’enjeu sociétal : apporter une aide à la décision afin d’atténuer la perception par la population du risque encouru par la gestion des déchets TFA.
Méthodologies
La méthodologie d’analyse d’impacts environnementaux sélectionnée est l’Analyse de Cycle de Vie (ACV) (ISO 14040, ISO 14044, 2006, revisitée en 2020).
Il s’agit d’une méthode normalisée d’évaluation des impacts sur l’environnement qui comprend quatre étapes : définition des objectifs et du champ de l’étude ; analyse de l’inventaire ; évaluation des impacts et interprétation des résultats.
La méthode de caractérisation d’impacts est : IMPACT 2002+. La méthode est pertinente pour son origine géographique proche (suisse) et son domaine d’application (industrie).
Principaux résultats
Objectif 1. Détermination et caractérisation des consommations de matériaux et des énergies et des émissions.
Les études mettent en évidence la consommation importante d’acier dans le cas de la pratique actuelle : entreposage des déchets TFA. Cette consommation est liée à l’utilisation des caissons en acier. Il faut compter en moyenne 15O kg d’acier pour emballer 1m3 de déchets non-stables. Cela représente environ 1000 T pour le cas de la déconstruction du CNPE Fessenheim. L’entreposage des déchets TFA métalliques représente aussi une perte de ces matériaux, qui auraient pu être recyclés : 6000 T pour le cas du CNPE Fessenheim.
En terme de consommation d’énergies, l’entreposage est principalement à l’origine des consommations des énergies non-renouvelables, notamment le charbon. Cette consommation du charbon est liée à la transformation de matériaux d’emballages et de construction (l’acier et les ciments). Les autres consommateurs d’énergies fossiles sont les transports routiers et les engins de construction sur le site d’entreposage.
L’activité de stockage est majoritairement consommateur du pétrole afin de fournir en énergie les moyens de transport. Les émissions les plus importantes sont les perturbateurs respiratiores, dont 49% les oxydes de nitrogène issus de combustion et 44% sont des particules fines.
Objectif 2. Évaluation des impacts environnementaux.
la pondération de résultats indique une contribution majeure aux perturbateurs de la santé humaine (effets respiratiores) et au changement climatique. Les deux catégories d’impacts sont principalement influencées par la production d’emballages des déchets TFA, suivie par les transports.
La figure 1 montre que les impacts les plus importants d’entreposage des déchets TFA se situent au niveau de la santé humaine, suivie par la contribution au réchauffement climatique.
Figure 1. Catégories d’impacts end-point d’entreposage des déchets TFA.
Sur cette figure, les catégories sont pondérées selon les consommations et les émissions moyennes d’un habitant européen, afin de permettre de mettre sur une seule échelle des catégories autrement incomparables. Il est important de noter que le point de vue sur cette pondération peut dévier des préférences des parties prenantes. Les pays d’Europe appliquent des limites strictes sur les émissions des polluants dans l’air. Mais la consommation des ressources et des énergies non-renouvelables reste très élevée en Europe en comparaison au reste du monde. Pour certains lecteurs la contribution d’entreposage des déchets TFA aux catégories de consommation de ressources et du changement climatique pourrait être plus importante que celle sur la santé humaine.
Parmi les impacts néfastes sur la santé humaine, l’entreposage contribue principalement sur les émissions des perturbateurs respiratoires : particules fines et oxydes de nitrogène. Les deux sont issus de la combustion du charbon lors de la production d’acier pour les emballages et de la combustion des carburants pendant les transports. Les deux familles de polluants sont classés comme des irritants et cancérogènes.
Il est cohérent que la combustion soit aussi à l’origine des gaz à effet de serre, contributeurs aux changements climatiques. L’exploitation du fer et des énergies fossiles sont aussi des consommateurs des ressources de la catégorie des non-renouvelables.
A travers toutes les catégories d’impact, la fabrication des emballages est le contributeur principal aux impacts environnementaux d’entreposage des déchets TFA. De la même manière, les transports représentent le deuxième et la construction du site le troisième contributeur aux impacts environnementaux d’entreposage. Dans les deux cas les catégories sont influencées principalement par la combustion du gazoile dans les moteurs thermiques des camions et des engins de construction.
Objectif 3. En comparant le recyclage à l’entreposage, le recyclage permettrait de diviser les impacts par trois (impacts pondérés). De manière très simplifiée, le recyclage éviterait la dépense de 15 000 MWh d’énergies primaires, production de 1700 t de CO2 éq., de 1,5 t de particules fines ou autrement une perte de plus de 7000 t d’acier.
Figure 2. Comparaison en score unique : entreposage | recyclage.
Même si le four à arc électrique, destiné au recyclage des métaux TFA consomme de l’énergie électrique et serait par conséquent à l’origine d’émissions considérables, la différence entre les deux scénarios reste très marquante.
Les points d’incertitude dans ce scénario sont encrés dans la construction du technocentre, dont les impacts sont inconnus et ne restent qu’une estimation. Les estimations supérieures ont étés utilisées dans la modélisation afin de ne pas favoriser le scénario de recyclage. Par exemple, pour le four à arc, la durée de vie prévue par EDF a été modélisée et pas celle du fabricant, qui est supérieure.
Perspectives
Le projet a montré la pertinence du sujet. Les modèles prouvent une charge importante de la pratique d’entreposage des déchets TFA compte tenu la perspective des risques que ces déchets représentent. La continuité du projet et modélisation du futur technocentre permettrait de justifier avec moins d’incertitude l’avantage de la perspective de recyclage des déchets métalliques TFA.
Ce projet a montré en outre l’importance de la reconsidération du traitement des déchets métalliques TFA. Il reste néanmoins la question de traitement des déchets non-métalliques solides (gravats). Leurs impacts sont moindres à ceux des déchets métalliques grâce à une technique d’emballage moins exigeante (Big Bags).
Le projet continue actuellement dans le cadre du projet CO2InnO, un projet cofinancé par l’union européenne à travers le programme Interreg Rhin Supérieur.
Plus-value pour le territoire
Selon le rapport de démantèlement du CNPE Fessenheim, EDF ouvre la question du recyclage de déchets métalliques faiblement radioactifs ou au moins de leur fusion et compactage dans un futur technocentre. On peut y lire que ce projet de recyclage ne fait pas consensus entre l’autorité de sureté nucléaire, les associations environnementales et enfin le Bade-Wurtemberg. Le sujet du désaccord se trouve notamment autour de la question d’existence du technocentre et de la continuité des activités en rapport avec le secteur nucléaire.
Ces questions étaient jusqu’à présent traitées sans considération des impacts environnementaux d’entreposage des déchets TFA.
Ce projet a apporté la première quantification des impacts environnementaux d’entreposage de ces déchets et et la quantification des économies potentielles liées au recyclage des déchets métalliques TFA. Il met en évidence le besoin de comparer les risques liés aux déchets TFA aux réels dommages liés à l’emballage et l’entreposage de ces déchets.