Le suivi radiologique d'un site en démantèlement : des solutions technologiques à l'intérêt sociologique
La question du risque est un élément central des enjeux actuels autour du démantèlement des installations nucléaires : sécurité de l’ensemble des travailleurs et des populations, transport et stockage des matériaux radioactifs, assainissement des sites, … La fermeture et le démantèlement de la centrale nucléaire de Fessenheim constituent ainsi un cadre de réflexion particulièrement intéréssant pour aborder de manière globale la problématique de la mesure de la contamination radioactive, de son interprétation et de sa communication.
Objectifs du projet et mise en contexte
Le démantèlement d’un site nucléaire doit permettre à terme sa réutilisation pour d’autres usages, tout en veillant à maîtriser les risques pour l’Homme et son environnement. Les opérations mises en œuvre s’étalent sur plusieurs années afin de permettre l’évacuation de toutes les matières dangereuses présentes sur le site. A cela vient s’ajouter la question de la gestion des matières radioactives évacuées, qu’il s’agisse de les recycler ou de les stocker dans un site dédié.
L’étude de la réglementation relative au démantèlement des installations nucléaires et à la gestion des matières radioactives nécessite de s’interroger sur les notions de quantification et de perception des risques. Dans le contexte particulier de la radioprotection, il existe en effet des liens forts entre les débats scientifiques portant sur le calcul du risque radiologique (modèle dose-risque) et les débats sociétaux portant sur la législation (normes, seuils, …). Au travers de ce projet, nous avons donc souhaité initier une étude sur le suivi radiologique d’un site en démantèlement, prenant en compte au sein d’une réflexion globale des aspects techniques (systèmes de mesure, types de contrôle, …) et sociologiques (interprétation des données, communication des résultats, …).
Les principaux objectifs mis en avant dans la description du projet étaient la constitution d’un groupe de recherche pluri-disciplinaire autour de cette problématique, la mise en place d’actions de médiation scientifique et d’enseignements, et l’orientation des futurs développements d’une instrumentation nucléaire innovante répondant au besoin spécifique du démantèlement.
Ce projet a été porté par l’Institut Pluridisciplinaire Hubert Curien (IPHC – UMR7178 – CNRS / Université de Strasbourg), acteur régional majeur dans les thématiques en lien avec le démantèlement nucléaire, tant au niveau de ses activités de recherche que des formations universitaires.
Méthodologies
Du point de vue technique, la mise en place du suivi radiologique sur l’ensemble d’un site en démantèlement nécessite de répondre au préalable à de nombreuses questions (radioéléments, matrices, techniques de mesure, localisations et fréquence des points de contrôles, …). Ces questions trouvent en grande partie leurs réponses dans le cadre réglementaire imposé par l’Autorité de Sureté Nucléaire (ASN) et dans les moyens techniques à disposition des organismes pour la réalisation des mesures de la radioactivité. Mais la réglementation et l’instrumentation existante ne peuvent pas être le seul référentiel utilisé pour mener une réflexion sur le suivi radiologique d’un site de démantèlement. Dans ce projet, des travaux ont donc été menés sur le développement de nouvelles solutions techniques et/ou de nouvelles méthodologies spécifiques à cette problématique. Ce travail, réalisé par l’équipe DeSIs de l’IPHC, a porté principalement sur les systèmes de cartographie de la contamination radioactive dans l’environnement (spectrométrie gamma in situ).
En parallèle, des aspects plus sociologiques ont été abordés au travers d’échanges et d’activités avec les principaux acteurs locaux de la médiation scientifique (Jardin des Sciences (Université de Strasbourg), NEF des Sciences (CCSTI Mulhouse)).
Principaux résultats
Ce projet avait pour objectif premier de faire émerger des pistes exploratoires permettant de mieux définir les caractéristiques principales d’un suivi radiologique du site de Fessenheim pendant sa phase de démantèlement. Ces caractéristiques doivent prendre en compte à la fois des aspects techniques (réglementation, instrumentation utilisée pour les contrôles, …) et des aspects sociologiques (perception des risques, communication des résultats, …), en intégrant les points de vue de tous les acteurs concernés. Ce projet ne prétend ainsi pas apporter de solution unique, mais plutôt des pistes de réflexion et de collaboration entre les différents acteurs de cette problématique majeure (EDF, Région Grand-Est, Universités, CNRS, communes, associations, …).
Les travaux menés au cours de ce projet sur l’instrumentation nucléaire ont permis de mettre en évidence l’intérêt de l’automatisation des systèmes de mesure (acquisition et traitement des données) dans le contexte d’un démantèlement d’installation nucléaire. L’automatisation présente en effet plusieurs avantages pour l’instrumentation d’un site, en particulier au niveau de la quantité et de la périodicité des données disponibles. Dans le cadre de ce projet, l’équipe DeSIs de l’IPHC a travaillé sur la mise au point de plusieurs systèmes de mesure de contamination radioactive par drone ainsi que sur les algorithmes de traitement des données associés (Figure ci-dessous : système de spectrométrie gamma par drone développé à l’IPHC).
Des actions de médiation scientifique portant sur la problématique de la contamination radioactive et du risque radiologique des faibles doses de rayonnements ionisants ont également été menées. L’équipe DeSIs a pour cela développé un système de mesure « grand public » permettant la mesure géolocalisée de la radioactivité naturelle (roches uranifères) dans l’environnement, système qui a été utilisé avec succès lors de la Fête de la Science 2021 sur le campus de Cronenbourg (Strasbourg). Outre l’intérêt technique, ce type de système constitue un excellent support de communication pour aborder les questions en lien avec la mesure de contamination radioactive (seuils, biais, …) et les risques associés. Toujours dans un objectif de médiation scientifique, les personnes impliquées dans le projet ont de plus pu participer à un speed-searching organisé par la Nef des Sciences de Mulhouse en 2021 sur la thématique de la fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim.
Perspectives
Le projet a finalement permis la constitution d’un groupe de recherche pluri-disciplinaire qui travaille aujourd’hui sur la question ouverte de l’impact écologique du recyclage des matériaux radioactifs et de la réutilisation des infrastructures d’un site nucléaire. Ce travail est réalisé dans le cadre du projet européen Interreg CO2InnO.
Plus-value pour le territoire
L’appel à projet du LabeX DRIIHM – OHM Fessenheim a permis de mettre en place un cadre de travail pour mener une réflexion approfondie sur la question du suivi radiologique du site nucléaire en démantèlement (centrale nucléaire de Fessenheim) et mettre en relation des chercheurs de différentes disciplinines, des acteurs de la médiation scientifique, des industriels du secteur nucléaire et des personnes de la société civile.
Des développements techniques innovants ont été réalisés à l’IPHC dans la perspective d’une future instrumentation nucléaire plus autonome permettant l’enregistrement plus régulier de données sur site.
Plusieurs actions de médiation scientifique ont également pu être menées sur le territoire au cours de ce projet, et deux nouveaux enseignements en lien avec la problématique du démantèlement ont pu être intégrés à différentes formations de l’Université de Strasbourg (L1 CPES, M2 Sciences et Société).