Le projet de recherche HYDECO « Connexions, déconnexions et reconnexions dans les socio-hydrosystèmes : évaluer l’interface visible/invisible dans l’interaction entre les dimensions sociales et environnementales des socio-hydrosystèmes », financé par le CNRS et l’INEE à travers le Labex DRIIHM, est un projet interdisciplinaire et multi-sites. Le projet de recherche s’appuie sur le réseau des Observatoires Hommes-Milieux (OHM), en place depuis 2007.
Thématique
La relation entre les sociétés et leurs hydrosystèmes peut être comprise comme une série de connexions et de déconnexions qui se produisent dans tous les domaines (hydrologique, géomorphologique, écologique, etc.) et dimensions (longitudinale, verticale, latérale). L’utilisation des cours d’eau et des ressources en eau crée des connexions matérielles et symboliques qui amènent les acteurs de l’eau à considérer également les dimensions sociologiques et politiques, esthétiques et spirituelles du socio-hydrosystème. Cependant, le développement de déconnexions physiques (infrastructures lourdes, comme les barrages) ou sociales (les plans d’eau sont tellement artificialisés que les résidents locaux oublient leur existence) génèrent d’importantes déconnexions. Par conséquent, les récentes politiques de l’eau et de l’environnement soulignent l’importance de la connectivité entre les différents éléments et compartiments des socio-hydrosystèmes et se concentrent particulièrement sur la mise en œuvre de processus de reconnexion à tous les niveaux. Dans ce contexte, l’objectif du projet HYDECO est de tester l’efficacité de la grille de lecture connexion/déconnexion/reconnexion appliquée aux socio-hydro-systèmes et de ré-explorer la notion de connectivité de manière critique et exemplifiée.
Ainsi, le projet propose de créer un terrain fertile pour ré-explorer le concept de socio-hydrosystème et ses implications socio-écologiques, en mettant l’accent à la fois sur les évolutions socioculturelles et les interactions fonctionnelles entre toutes ses composantes. Pour ce faire, le projet articule les cadres théoriques suivants : l’opposition visible/invisible telle que développée dans la théorie du paysage, et le concept de point de bascule (tipping point) issu des domaines de la climatologie, des sciences de l’environnement et de l’écologie. Le point de bascule correspond à un niveau critique à partir duquel un système bascule vers un état alternatif, qui peut être interprété dans certains cas comme une bifurcation catastrophique.
La contribution innovante de ce projet est d’utiliser le concept de tipping point pour comprendre comment et où les connexions et les déconnexions ont lieu dans les systèmes socio-hydriques. Existe-t-il des seuils au-delà desquels le fonctionnement des socio-hydrosystèmes est irréversiblement altéré ? Est-il possible de les prévoir ? Inversement, les connexions/déconnexions peuvent-elles conduire à une évolution des socio-hydrosystèmes vers des modes de fonctionnement radicalement différents ?
Pour répondre à ces questions, le projet mobilise une équipe de 40 chercheurs, répartis sur 7 sites d’étude différents pendant 3 ans : le comté de Pima (OHMI Pima County à l’IRL iGlobes – CNRS Université d’Arizona) ; la vallée du Rhône (OHM Vallée du Rhône, Université de Lyon) ; les lagunes méditerranéennes de l’étang de l’Or et de Biguglia (OHM Littoral méditerranéen à l’Université de Montpellier et à l’Université de Corse) ; la vallée du Rhin (OHM Fessenheim à l’Université de Strasbourg) ; la lagune atlantique d’Estarreja (OHM Estarreja à l’Université d’Aveiro, Portugal) ; le bassin versant d’Umiujaq (OHM Nunavik, Université de Laval, Québec) ; la tourbière de Bernadouze et les lacs de haute montagne des Pyrénées françaises (OHM Pyrénées-Haut Vicdessos à l’Université de Toulouse).
L’objectif est de collecter les données et d’articuler les analyses produites pour l’ensemble des socio-hydrosystèmes afin de les examiner dans une perspective comparative et interdisciplinaire. Cette comparaison et ce dialogue entre les différentes situations observées seront rendus possibles par le développement d’un lexique commun basé sur le vocabulaire largement accepté par la communauté scientifique pour les socio-hydrosystèmes. L’objectif est de savoir s’il existe des déterminants communs des connexions/reconnexions, mais aussi si l’on peut identifier des effets récurrents permettant d’anticiper les évolutions futures au sein des territoires observés ou, plus largement, dans l’ensemble des socio-hydrosystèmes mondiaux soumis aux mêmes conditions.
Terrains d’étude et axes de recherche
OHM Pima County : Tucson Active Management Area et la rivière Santa Cruz
- Interactions hydrologiques, géomorphologiques et écologiques des eaux souterraines et de surface dans le contexte du changement climatique : vers le point de bascule ?
- Déconnexions des eaux souterraines et des eaux de surface dans les perceptions des parties prenantes : droit et défis socio-économiques
- Perceptions sociales des cours d’eau intermittents : vers une meilleure visibilité ?
OHM Vallée du Rhône : Le corridor fluvial du lac Léman au delta
- Contaminants et pollutions de l’eau dans le couloir rhodanien : un risque invisible ?
- Interactions entre eaux souterraines et eaux de surface dans le contexte du changement climatique : vers le point de bascule ?
- Les fronts d’eau urbains : vers une reconnexion sociale entre villes et fleuves ?
OHM Littoral méditerranéen : Les lagunes de l’Etang de l’Or (Montpellier) et de Biguglia (Bastia, Corse)
- Interactions entre eaux souterraines et eaux de surface dans le fonctionnement hydrologique des lagunes
- Contaminants et pollutions de l’eau : la connectivité comme problème potentiel dans le fonctionnement d’une lagune
- Connexion mer/lagune/plaine alluviale : impacts des infrastructures humaines sur le fonctionnement de la lagune
OHM Fessenheim : Les îles rhénanes entre le Grand canal d’Alsace et le Rhin
- Reconnexions hydrologiques et invisibilité de la dynamique des eaux souterraines dans le cadre de la réhabilitation des mines de potasse d’Alsace sur le Rhin
- Eau contaminée et pollutions : remobilisation des sédiments pollués
- Événements de connexion/déconnexion sur les niveaux de polluants dans les sédiments alluviaux et les processus écologiques – modélisation chimique, physique et écologique des points de bascule
OHM Estarreja : La lagune atlantique d’Estarreja (Portugal)
- Délimitation de l’interface eau douce/eau salée dans la zone du Baixo Vouga Lagunar (Aveiro) à l’aide de techniques géochimiques et géophysiques.
- L’effet de multiples facteurs climatiques sur la toxicité des sols historiquement contaminés.
- Microplastiques dans les rivières d’Estarreja et leur rôle dans la propagation des agents pathogènes et de la résistance aux antibiotiques
OHM Nunavik : Le bassin versant d’Umiujaq (Québec, Canada)
- Evolution de l’hydrosystème en réponse aux changements climatiques et suite à l’établissement récent du village d’Umiujaq en 1986
- Impacts des changements de l’hydrosystème sur le village d’Umiujaq (augmentation de la turbidité de la rivière causée par des glissements de terrain, présence de contaminants dans l’eau, croissance d’arbustes dans le bassin versant entraînant le déclin de la végétation endémique, apparition d’étangs thermokarstiques suite à la dégradation du pergélisol, apparition de barrages de castors, etc.)
OHM Pyrénées-Haut Vicdessos : La tourbière de Bernadouze et les lacs de tête de bassin
- Compréhension des configurations paysagères favorisant le stockage de l’eau en hiver par l’analyse des flux verticaux de neige et des nappes phréatiques afin de permettre une gestion active des territoires pour favoriser le stockage et le soutien d’étiage en été.
- Évaluation des flux de nutriments et de micropolluants qui sont impactés par les espèces invasives, elles-mêmes associées à des pratiques très spécifiques et ponctuelles (spatialement et temporellement) comme l’alevinage.
- Reconstitution géo-historique de la connectivité amont/aval sur le long terme (18e-21e siècles) en lien avec le développement et l’exploitation de la ressource en eau.
Contacts
François-Michel Le Tourneau, Directeur de Recherche au CNRS, Directeur de l’OHMI Pima County
David Blanchon, Professeur, Université de Paris Nanterre, Département de géographie